Cet article, tout récemment, dans Le Monde - reçu, j'en profite pour signaler son existence, par la liste de diffusion de l'Association Multitudes, qui fait un travail sur Internet (Multitudes Web) et publie la revue papier Multitudes (le numéro de cet été, n° 29, publie un dossier "Narrations postcoloniales", et un dossier "Traduire Deleuze", par exemple - qui convaincra peut-être, encore une fois, des ressources critiques de l'étranger pour dénouer le piège intestin du parigo-français).
Rétrocontroverse : 2002, les intellectuels réactionnaires sont de retour
LE MONDE 25.08.07 13h21.
Mis à jour le 27.08.07 14h01
A l'automne 2002, quelques mois après le séisme du 21 avril et l'élimination de Lionel Jospin au premier tour de l'élection présidentielle, la gauche"plurielle" est en ruine. Au même moment, une petite bombe éditoriale va faire imploser une partie de la gauche "intellectuelle".
A l'origine de la déflagration, un mince volume intitulé Le Rappel à l'ordre: enquête sur les nouveaux réactionnaires (Seuil). L'historien Daniel Lindenberg y dénonce le triomphe d'une "libido réactionnaire" chez certains intellectuels longtemps étiquetés "de gauche". Sous prétexte de provoquer une "levée générale des tabous", ceux-là en seraient venus à exprimer une répugnance de plus en plus ouverte à l'égard des droits de l'homme, de l'antiracisme, de Mai 68 ou encore de la culture de masse, au point de vomir la démocratie en tant que telle.
Egrenant les noms des écrivains Michel Houellebecq et Maurice Dantec, comme ceux des philosophes Alain Finkielkraut, Pierre Manent, Marcel Gauchet ou Pierre-André Taguieff, Lindenberg ne prétend pas décrire un parti organisé. Il parle plutôt d'une "nébuleuse" disparate, rassemblant des hommes venus d'horizons divers, mais qui seraient passés "de Trotski à Carl Schmitt, des "années rock" au culte académique de la langue française et du latin d'école, du gauchisme chevelu à la croisade contre les fadeurs vénéneuses dela modernité"... Bien sûr, ce Rappel à l'ordre est à la fois hasardeux dans sa méthode et hâtif dans ses conclusions.
Et ceux qu'il met en colère ont beau jeu d'en moquer les faiblesses : "De la bouillie pour les chats, du mauvais travail intellectuel, où la nomination dénonciatrice compte davantage que l'analyse des idées", tranche l'historien Pierre Nora, fondateur de la revue Le Débat, dans un entretien accordé au Monde. "Il se porte tellement mal, l'espace public intellectuel, que ce livre nul en est le témoignage frappant", ajoute alors l'écrivain Philippe Muray (1945-2006) dans Le Figaro.
Reste que l'offensive Lindenberg fait mouche : durant de longues semaines, l'affaire des "nouveaux réactionnaires" occupe le devant de la scène, faisant l'objet d'émissions à la radio comme à la télévision, envahissant surtout les rubriques débats des journaux, à commencer par celles du Figaro et de Marianne. Le Monde, de son côté, va jusqu'à lui consacrer sa"manchette" - fait rarissime pour l'actualité des idées.
En effet, c'est l'occasion d'explorer les mutations du paysage intellectuel français, et en premier lieu l'implosion de cette galaxie qu'on nommait la"famille antitotalitaire". Partageant une même réflexion sur le phénomène totalitaire, cette famille s'est formée dans le soutien aux dissidents des régimes staliniens et dans la redécouverte de la pensée politique libérale du XIXe siècle (en particulier Alexis de Tocqueville et Benjamin Constant). On la trouve rassemblée autour de quelques revues, notamment Le Débat, Commentaire ou Esprit, et de quelques espaces académiques, dont le Centre Raymond-Aron, un laboratoire de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
La querelle apparaît donc comme une affaire de famille : lorsque paraît le livre de Daniel Lindenberg, ce dernier est conseiller à la direction de la revue Esprit, où bon nombre des auteurs ciblés par lui ont leurs habitudes. De même, l'historien Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France et président de La République des idées, association qui édite Le Rappel à l'ordre, se trouve être également le directeur du Centre Raymond-Aron. Il y côtoie, entre autres, Pierre Manent et Marcel Gauchet, que l'ouvrage de Lindenberg dépeint comme de dangereux contempteurs de la société démocratique : "Ce qui fait l'originalité de la controverse en cours, c'est qu'elle oppose pour partie, des deux côtés de la barricade, des hommes qui se réclament des mêmes valeurs. (...) La vérité est que le libéralisme qui les a unis tend aujourd'hui à les diviser et que la question des droits de l'homme est en train de devenir signe de contradiction dans la société française", constate l'historien Jacques Julliard dans Le Monde.
Le danger totalitaire est derrière nous, la ligne de front passe désormais au sein même du champ démocratique : un peu plus de dix ans après la chute du mur de Berlin, telle est donc la posture d'une gauche qui se veut réformiste et moderne, et qui n'envisage pas sa refondation sans une nette redéfinition de ses frontières. "Ce livre rend visible un phénomène qui n'avait pas encore été décrit : l'apparition d'une nouvelle forme d'illibéralisme. La dénonciation de la société ouverte s'opère en effet maintenant au travers d'une sensibilité que l'on peut appeler "critique réactionnaire"", persiste Pierre Rosanvallon, toujours dans nos colonnes.
Saine entreprise de clarification pour les uns, cette polémique a surtout mis en lumière, pour d'autres, l'état de confusion et de panique où se trouve la gauche progressiste depuis 2002. Comment expliquer, sinon, que tant d'observateurs aient pu diagnostiquer un "ralliement" massif des intellectuels à Nicolas Sarkozy, quand les allégeances effectives se comptent sur les doigts d'une main ?
Tout se passe comme si la gauche avait besoin de se faire peur, comme si elle compensait son impuissance doctrinaire et sa crise identitaire par une chasse hystérique aux "renégats" et aux "traîtres" : "Une gauche sans projet a besoin d'ennemis haïssables, si fantasmatiques soient-ils. L'acte de les dénoncer lui permet de se donner une contenance, à défaut d'une consistance. Telle est la principale fonction de l'étiquette illégitimante ("néoréacs"), dans un contexte où les identités politiques sont floues : fixer une ligne imaginaire entre la gauche et la droite. De quoi intimider les intellectuels en leur lançant le message : "Attention, ne pas franchir la ligne jaune !"", commente Pierre-André Taguieff dans un récent essai intitulé Les Contre-réactionnaires : le progressisme entre illusion et imposture (Denoël,620 p., 28 euros).
Jean Birnbaum
27 août 2007
Les Nouveaux réacs de nouveau à l'actu
Publié par CJ à 17:25
Libellés : Nouveaux réactionnaires, Taguieff
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