26 décembre 2008

POUR SORTIR DU POSTMODERNE - HENRI MESCHONNIC

Pour sortir du postmoderne, Paris, Klincksieck, 2009.


Si ce livre est « pour », c'est parce qu'il est un « contre ». Contre le cumul inimaginable de clichés culturels qui font la masse des académismes, des idées reçues sur ce qui est moderne et ce qui ne l'est pas, et sur ce qui aurait dépassé la modernité (on ne sait plus combien de sens a ce mot) et qui se dénomme le postmodernisme.Alors on peut se demander d'où et comment on pourrait en faire la critique, d'où et comment on pourrait rire et faire partager ce rire. La comédie est ici celle du sérieux. C'est la farce de la pensée.Eh bien elle vient du poème, qui apprend à rire du signe, elle vient du continu corps-langage qui apprend à rire des formes diverses du discontinu. C'est cette folie de rire de la folie qui n'est pas vue comme une folie, puisqu'elle se prend tellement au sérieux qu'on la prend au sérieux. Alors vous êtes conviés à ce rire. Je ne connais rien de plus sérieux.

Henri Meschonnic

18 décembre 2008

Politique des langues - aperçu de la situation irakienne

Info transmise sur la liste de diffusion de la SAES (Société des Anglicistes) :

Mathieu Guidère, Irak in Translation ou De l’art de perdre une guerre sans connaître la langue de son adversaire

Editions Jacob-Duvernet, 2008.

Dans toute guerre, il existe une erreur originelle. L’erreur américaine en Irak a été de croire que l’on pouvait démocratiser un pays sans même connaître sa langue, que la technologie pouvait remplacer l’humain, que la manipulation pouvait se substituer à la persuasion, bref que l’on
pouvait gagner les cœurs et les esprits en ignorant la culture d’autrui.

De cette erreur originelle découlent bien des horreurs qui ont défrayé la chronique. Car toute guerre engendre ses « Bons » et ses « Méchants » mais aussi ses « Traîtres » et ses « Collabos ». Celle d’Irak ne déroge pas à la règle, mais elle se distingue par la mise en avant d’un nouveau
genre de traîtres : les interprètes et les traducteurs, pourtant censés aider les Américains à pacifier le pays. Or, il n’en est rien.

Ce livre propose un voyage au cœur du chaos irakien en suivant la trace de ceux-là mêmes qui le connaissent le mieux : ces auxiliaires, traducteurs et interprètes, qui ont travaillé ou qui travaillent toujours pour les Américains, mais qui sont perçus et traités comme des « traîtres » et des « collabos » par leurs compatriotes.

Ceux que les Américains appellent des « linguistes » ont payé le plus lourd tribut dans cette guerre qui n’en finit pas de faire des victimes. Mais ces intermédiaires culturels indispensables à la pacification du pays ont été accusés de trahison et de félonie des deux côtés, de la part des Américains comme de la part des Irakiens.

Qui sont ces auxiliaires de l’armée américaine ? D’où viennent-ils et que font-ils ? Comment sont-ils recrutés et que deviennent-ils par la suite ? Enquête sur un véritable scandale à l’heure où les États-Unis élisent un nouveau président.

L’auteur explore les raisons profondes de l’échec américain en Irak. Il explique, à partir d’une enquête détaillée et inédite, pourquoi les forces de la coalition n’ont jamais atteint leur objectif premier dans cette guerre, gagner les cœurs et les esprits contre l’extrémisme et la barbarie.

L’auteur : Mathieu Guidère est professeur à l’Université de Genève et ancien
directeur de recherches à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Il
est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : Introduction à la
traductologie
(De Boeck, 2008), Le Manuel de recrutement d’Al-Qaïda
(Éditions du Seuil, 2006) et Al-Qaïda à la conquête du Maghreb (Éditions
du Rocher, 2007).

15 décembre 2008

Où il est question de Napoléon-V-le-minuscule. De la nécessité d'une recherche en littérature pour cette seule raison.

L'histoire se répète ? Non. Mais la littérature conserve son actualité critique, son caractère intempestif. Ces lignes de Victor Hugo qui parleront à plus d'un d'entre nous :
"Que peut-il ? Tout. Qu'a-t-il fait ? Rien. Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être. Seulement voilà, il a pris la France et n'en sait rien faire. Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide. L'homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux.Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse. Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde, d'un homme médiocre échappé."

Victor HUGO, Napoléon, le petit.

La recherche et le doctorat comme instruments du divin capitalisme

Voici ce que je reçois comme enseignant-chercheur de l'Université de Franche-Comté. Il s'agit d'un papier émanant de l'Ecole Doctorale représentant le secteur Lettres et Sciences humaines. Je me permets de citer ce document, révélateur de la capacité d'adaptation idéologique de certains enseignants-chercheurs au néo-libéralisme. En bons élèves du Ministère et excellents adeptes de la Doctrine officielle, ils sont prêts à sacrifier ce dont ils ont eux-mêmes bénéficié par le passé, leur assurant la compétence qui est aujourd'hui la leur. On appréciera la réduction du monde du travail à celui de l'entreprise, érigé en modèle. Entreprise est le devenu le signifiant religieux de notre époque. On goûtera le plus burlesque, sous la plume d'universitaires, le reproche dont ce texte se fait l'écho quant à la "spécialisation trop poussée" des doctorants. Sans blague ?


"École doctorale Langages, espaces, temps, sociétés - Université de Franche-Comté.
Préparation du forum doctorants-entreprises


L’École doctorale n° 38 Langages, espaces, temps, sociétés est une école pluridisciplinaire, couvrant l’ensemble du champ des Sciences humaines et sociales et les sciences juridiques. Elle accueille un nombre important de doctorants, puisque plus d’un tiers des doctorants de l’université de Franche-Comté y sont inscrits. Ce volume et cette diversité disciplinaire font la richesse de l’École. En revanche, nos doctorants ont fréquemment le sentiment de travailler en quelque sorte en aveugle, en raison de l’étroitesse de leurs débouchés et de l’insuffisance du suivi de leur recherche. De fait, la trop grande rareté des financements, la durée moyenne élevée de préparation des thèses, ainsi que l’ignorance réciproque dans laquelle se tiennent généralement les doctorants d’un côté et le monde du travail de l’autre sont un handicap à leur insertion professionnelle. Cette ignorance est particulièrement nette à l’égard des entreprises privées. Pourtant le monde de l’entreprise peut offrir aux jeunes docteurs un espace où il leur est possible de mettre à profit les connaissances et les compétences de haut niveau qu’ils ont acquises au cours de leur formation doctorale.
De façon générale, les employeurs reprochent aux jeunes docteurs leur méconnaissance de l’entreprise, leur éloignement des préoccupations du monde du travail et une spécialisation très poussée. Ils souhaitent notamment que les compétences des docteurs et post-doc soient plus visibles et plus lisibles. Pourtant, ils recherchent des profils possédant de fortes capacités de développement à moyen et à long terme, auxquels correspondent justement les jeunes docteurs. Quant aux docteurs et post-doc, ils savent rarement identifier leurs compétences et leurs expériences développées par la formation à la recherche, et surtout les traduire dans le langage de l’entreprise et en enjeux socio-économique. Peu d’entre eux, par exemple, intègrent leur thèse dans leur CV comme une expérience professionnelle. Et pourtant, les docteurs en SHS ont acquis au cours de leur thèse des connaissances, des compétences et une réflexion méthodologique les mettant souvent en position de produire des innovations. Bref, il est nécessaire de permettre aux uns comme aux autres de se rencontrer, et c’est dans ce but que l’École doctorale LETS a entrepris d’organiser un forum doctorants-entreprise.

Nous souhaitons associer l’ensemble des laboratoires et leurs représentants à la préparation de ce forum et des actions qui le prolongeront. Plus précisément, il convient de constituer un comité de pilotage chargé d’organiser la collaboration entre l’École doctorale LETS et les différents partenaires engagés dans cette entreprise, à savoir la mission stages emploi, la MSHE Ledoux, les équipes de recherche, Synergie entreprises, l’observatoire de la vie étudiante, l’association A’doc, ainsi que des partenaires extérieurs à l’université, le Conseil Régional de Franche-Comté, mais aussi l’Apec, Inter-Unec, le Medef, des acteurs de l’emploi et des employeurs.
Ce groupe de travail aura pour tâche dans l’immédiat de préparer le premier forum doctorants-entreprise d’avril 2009. Celui-ci ne doit pas prendre la forme d’une succession d’exposés présentés par chacun des représentants de l’opération, ce qui serait l’organisation la plus fastidieuse et la plus ennuyeuse. Le système de tables rondes avec participation du public animées par un modérateur nous semble préférable. D’autres modalités d’organisation peuvent évidemment être imaginées.
Nous souhaitons que les laboratoires participent activement à la mise sur pied de cette manifestation en proposant
- la participation de jeunes docteurs ;
- l’invitation de professionnels travaillant dans un domaine proche de leur champ disciplinaire ;
- des collègues ou doctorants acceptant de participer aux tables rondes et/ou de les animer.
En conséquence, il est nécessaire que certains d’entre nous constituent, en collaboration avec Ludovic Jeannin, un comité de pilotage qui aura pour tâche de construire le programme de cette journée, en veillant à ce qu’elle permette de présenter de manière attractive les compétences de nos docteurs et les formations dont ils bénéficient.
Nous vous invitons donc à diffuser ces informations auprès des membres de vos équipes de recherche et de les inviter à présenter des propositions, afin que nous puissions engager la discussion et l’organisation du projet lors du prochain conseil de l’École doctorale de janvier 2009.

Le Bureau de l’ED LETS "

14 décembre 2008

CPU : ACTION DU 18 DECEMBRE 2008.

Information délivrée par M.-P. Gaviano (SLR) :
Jeudi prochain, 18 décembre, aura lieu le matin une réunion plénière de la Conférence des Présidents d'Université visant à en renouveler le bureau. C'est une occasion unique de les interpeller collectivement sur les réformes en cours : statut des enseignants-chercheurs, mastérisation des concours d'enseignement, et plus largement l'ensemble des mesures contenues dans la loi LRU, sans oublier le démantèlement des organismes de recherche. La LRU a donné aux présidents d'université des pouvoirs importants, y compris celui d'empêcher de fait la mise en place de nombre de ces mesures. A cet effet, une lettre ouverte leur sera remise.SLR et SLU appellent donc l'ensemble des personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur et les étudiants à se rassemblerJEUDI 18 DECEMBRE, 9H du matin,au siège de la CPU, Maison des universités, 101-103 Bd St-Michel, Paris Ve (à la sortie du RER Luxembourg coté rue de l'Abbé de l'épée (=côté Ulm))Voir http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?rubrique4

L'université de Franche-Comté et son président Machiavel

La dotation 2009 de l'Université de Franche-Comté est marquée par une imprévisible augmentation, richesse inespérée et tellement attendue, puisque dans sa munificence Mme la Ministre accorde donc + 1 % !
Il n'y a plus qu'à se courber et remercier, ô divinité suprême !, le gouvernement pour sa volonté tant affichée de valoriser les universités, les métiers et le sort des étudiants.
A ce propos, Valérie Pécresse a annoncé la semaine dernière que les critères de dotation seraient revus : non par le nombre d'étudiants inscrits mais par ceux qui sont présents aux partiels ! Nette amélioration comme vous le constatez !
Par ailleurs, après cette augmentation de 1 %, l'Université de Franche-Comté sera concernée par 5 suppressions de postes d'enseignants-chercheurs et de 2 suppressions côté BIATOSS.
Naturellement toutes ces informations n'ont été à aucun moment délivrées par le Président de l'Université à ses collègues...
Dernière chose : le rapprochement avec l'Université de Bourgogne dans le cadre d'un PRES est depuis longtemps acté. Le terme de fusion, en revanche, souvent proscrit. Un article de "L'Est républicain" vient de révéler qu'il n'en est rien, et que la fusion est bien à l'ordre du jour. Le Président de l'Université, Claude Condé, interrogé là-dessus a répondu qu'il était favorable à la fusion (il n'a eu de cesse de marteler en public l'inverse...) mais que Valérie Pécresse s'y opposait... A Machiavel Machiavel et demi.

13 décembre 2008

LA BIBLIOMETRIE SELON JOURDE

Pierre Jourde parviendra-il à vous faire sourire de la bibliométrie?

Les facéties de la bibliométrie. Comment devenir le chercheur du mois

Par Pierre Jourde, vendredi 12 décembre 2008 à 09:34 (575 vues, permalink, rss co) :: Invités

Article publié par Le Monde Diplomatique, décembre 2008.
La scène se déroule loin de la lumière du jour, dans les profondeurs inquiétantes d’un bunker. Berlin en 1945? Moscou en 1952? Non, Paris, 2008, 3e arrondissement. Dans la salle, non pas des apparatchiks, des bureaucrates couleur de muraille, mais quelques-uns des plus brillants représentants de l’université et des organismes de recherche français: membres du Conseil national des universités (CNU), du comité national du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et des laboratoires de Paris et d’Ile-de-France. L’élite des intellectuels.
On a du mal à se défendre de l’idée que les lieux affectés à la recherche et à l’enseignement, en France, ceux où l’on réfléchit, cherche, transmet le savoir, et qui évoquent généralement plus un commissariat dans la Roumanie de Nicolae Ceausescu que les universités italiennes, britanniques ou américaines, participent d’un mépris généralisé de la pensée et d’un bizutage des universitaires. Mais on écarte vite ces frivolités, l’affaire est autrement sérieuse. Les graves personnages assis à la tribune, face à cet aréopage de grands esprits, l’annoncent d’emblée : «Nous sommes là pour le pilotage de la recherche.» En effet.
Miracle de PowerPoint, un grand écran s’allume et affiche l’image d’un tableau de bord d’Airbus. Ah, mais oui, bien sûr, le pilotage de la recherche, c’est tout à fait clair. La lumière se fait dans le cerveau des chercheurs présents, ils sont très intelligents, pas besoin de plus d’une image pour leur faire comprendre.
Tout de même, ce sont des penseurs, on connaît ça, il faut les remuer. Bougeons. «Il faut maintenant empoigner le taureau par les cornes», déclare, impérieux, l’orateur. L’écran affiche à présent, non pas une tête de veau vinaigrette, non pas un parapluie, mais, incroyable, une splendide silhouette de taureau. L’image juste sur le mot juste. De quoi motiver un peu cette bande d’intellos. De quoi s’agit-il au juste? De proposer des stages découverte dans les cuisines d’un McDo? Des reconversions dans la vente d’appareils électroménagers? Pas du tout. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ([Aeres|http://www.aeres-evaluation.fr/), avec son bunker, ses images d’Airbus et de cornes de taureau, est l’organisme chargé par le gouvernement d’évaluer la recherche en France. C’est-à-dire de mettre au point des systèmes de mesure permettant de classer, donc de doter, les centres de recherche, et de déterminer la carrière des chercheurs suivant la valeur estimée de leurs travaux.
Tout de suite, on est en confiance. Des gens capables d’une telle finesse (Airbus, taureau) ne peuvent qu’effectuer un fin travail d’évaluation. Quant aux chercheurs présents, ils sont censés classer les revues scientifiques (A, B, C). En gros, plus on publie dans de bonnes revues (A), plus on est un bon chercheur. Si vous publiez un article dans une petite revue de Varsovie, peu citée (C), pas bon. Si vous publiez dans une revue américaine à forte diffusion (A), vous êtes nettement plus intelligent et c’est excellent pour votre carrière.
Ajoutons le «facteur d’impact», qui mesure le rapport entre le nombre d’articles citant un chercheur et le nombre d’articles que ce chercheur a publiés, sans compter le facteur H, le facteur G et autres affriolants machins que l’universitaire désormais s’amusera à bricoler pour mesurer sa propre importance. Ça l’occupera. La «bibliométrie», c’est ça.
Evidemment, il fallait s’y attendre avec ces intellectuels frileux, conservateurs, repliés sur leurs privilèges catégoriels, ça se passe mal. Depuis des semaines, les pétitions se multiplient, parmi les chercheurs, pour dénoncer le système d’évaluation. Le mouvement est parti des pays anglo-saxons, où l’on a mis au point ces systèmes, et sur le modèle desquels se calque la France. Les directeurs de dizaines de prestigieuses revues internationales d’histoire des sciences ont publié un communiqué commun pour refuser que leurs publications soient utilisées dans l’évaluation bibliométrique. Ils dénoncent les critères de l’European Reference Index for the Humanities (ERIH), dont s’inspirent largement ceux de l’Aeres, en ces termes peu amènes: «L’ERIH repose sur une incompréhension fondamentale des modes de développement et de publication de la recherche dans nos disciplines et dans les sciences humaines en général. La qualité des revues ne peut être séparée de leur contenu et de leurs méthodes éditoriales. Une recherche importante peut être publiée n’importe où, dans quelque langue que ce soit. Un travail révolutionnaire a plus de chances de surgir sur des supports marginaux, dissidents ou inattendus que dans des lieux institutionnels bien établis (1).»
Des associations internationales de mathématiciens (et, parmi elles, l’Union mathématique internationale, qui décerne la médaille Fields (2)) ont publié un rapport qui dénonce les gros sabots et la rusticité des outils statistiques sur lesquels se fondent les classements de revues de l’ERIH. Pour Peter Lawrence, professeur à Cambridge, le principal résultat de la bibliométrie, c’est que «l’objectif principal des savants n’est plus de faire des découvertes mais de publier autant que possible », de sorte que « l’utilité, la qualité et l’objectivité des articles se sont dégradées (3)». Même l’une des grandes théoriciennes de l’«impact», Anne-Wil Harzing, professeure à l’université de Melbourne, vient de publier, avec Nancy Adler, professeure à McGill (Montréal), un long article dans lequel elle remet sérieusement en question les effets de la bibliométrie (4).
En France, plusieurs pétitions et textes circulent pour s’opposer au classement des revues (5). Des chercheurs chargés de cette opération quittent l’Aeres. Certaines commissions (arts, langues, sciences du langage notamment) refusent tout bonnement d’y procéder. Cela a donné lieu à des séances houleuses et à des tentatives de repli plutôt burlesques, comme celle qui consiste à proposer de dresser la liste des revues sans les hiérarchiser (autant publier une bibliographie).
Quels sont les arguments de ces ennemis de la modernité bibliométrique, qui ont récemment contraint l’Aeres à renoncer pour l’instant à classer les revues en littérature française et littérature comparée? Ils prétendent que les revues anglo-saxonnes sont surévaluées par ces estimations, sans rapport avec leurs qualités réelles; que cette surévaluation provoquera la fuite des textes européens dans ces revues et qu’ainsi la bibliométrie provoque ce qu’elle prétend mesurer; que des revues roumaines ou libanaises en français tombent dans les profondeurs du classement, excellente façon de défendre la culture française à l’étranger; que c’est offrir une rente de situation à certaines revues qui n’ont plus qu’à dormir sur leurs lauriers pour l’éternité; que le critère principal de publication dans un titre prestigieux n’est pas nécessairement la qualité scientifique; que la recherche audacieuse est souvent diffusée dans de jeunes revues méconnues; que ces critères sont en réalité quantitatifs et n’ont pas de sens pour mesurer la qualité d’un travail; que c’est souvent le temps qui fait apparaître l’importance des recherches; que la qualité d’une revue ne se mesure pas à sa diffusion, ni la qualité d’un texte au renom de qui l’accueille; qu’il y a, notamment en sciences humaines, abondance de documents fondamentaux sur des supports rares et confidentiels; que ce «fichage» condamne d’avance les créations de revues novatrices et audacieuses; que les bouleversements de la connaissance se sont faits souvent en dehors ou à l’encontre des institutions bien établies auxquelles l’Aeres décerne ses satisfecit; que la quantité des citations mesure les modes intellectuelles, les positions de pouvoir et l’audience d’un auteur plus que la qualité de l’article cité; que tout cela ne peut produire qu’un aplatissement et une servilité de la pensée.
Certains vétilleux, comme Olivier Boulnois, médiéviste, philosophe, directeur d’études de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), vont même jusqu’à examiner en détail les listes de l’Aeres. Ils y remarquent des revues essentielles classées B, des revues inexistantes dûment répertoriées, des périodiques classés deux fois, A ou B.
D’autres s’amusent à calculer la cote d’Aristote et de Platon selon les critères bibliométriques. Très médiocre : ces piètres chercheurs grecs végéteront toute leur vie à des postes subalternes. Emmanuel Kant est mieux noté, mais nettement moins que Dov Gabbay. Albert Einstein ou Mikhaïl Bakhtine auraient du mal à obtenir une augmentation et des crédits de recherche. Le facteur d’impact de Laurent Lafforgue était nul lorsqu’il a obtenu la médaille Fields. Bref, n’importe quoi.
Tout cela ne doit pas arrêter le progrès. Pilotons la recherche, prenons le taureau par les cornes. Un bon pilotage se doit d’être automatisé, standardisé, mécanisé. Surtout ne pensons pas, comptons. Au moins, cela aura toute l’apparence de l’objectivité. Comptons, c’est ainsi qu’on encouragera la recherche, l’audace, l’originalité.
On pourrait, d’ailleurs, encore améliorer le système de classement, et, outre les séances de motivation avec PowerPoint, s’inspirer utilement des pratiques de management de McDo. Le meilleur vendeur de cheeseburgers est classé employé du mois. Il serait souhaitable, à l’astrophysicien ou à l’archéologue méritant, d’accorder le titre de chercheur du mois. Un chef de cabinet l’embrasserait sur les deux joues, on accrocherait sa photographie à l’Aeres, tout au fond du bunker, et là, enfin, on aurait pris le taureau par les cornes.

(1) Texte complet (en anglais) sur le blog de Medical Museon.

(2) Du nom d’un mathématicien canadien, John Fields (1863-1932). Ce prix, équivalent du Nobel, est attribué tous les quatre ans à un mathématicien de moins de 40 ans.

(3) Cité par Nancy Adler et Anne-Wil Harzing, «When knowledge wins: Transcending the sense and nonsense of academic rankings», Academy of Management Learning & Education, vol. 8, nº 1, New York, 2008.

(4) «When knowledge wins...», op. cit.

(5) Cf. entre autres "Sauvons l’université !", par P. Jourde

08 décembre 2008

VALERIE PECRESSE : APRES LA FARCE ET LES MENSONGES, LA REACTION DES SENATEURS - 28 novembre 2008

Adepte du mensonge, et des grandes annonces médiatiques, Valérie Pécresse qui pratique une politique dirigiste et autoritariste à l'égard des universités (la logique du Soviet suprême), empile depuis plus d'un an des lois et des directives improvisées et précipitées avec une méconnaissance très grave du terrain proche de l'incompétence, tout ceci sans l'ombre d'une concertation avec l'ensemble du corps universitaire, largement bafoué et méprisé. Colère, rage et ressentiment. Au-delà de la farce tragique de la mastérisation des diplômes, de la modulation des services, de la concentration des pouvoirs aux mains des présidents d'universités, de la libéralisation massive, de la casse du métier d'enseignant-chercheur prétendument revalorisé, l'affaire du budget 2009, et quelques réactions des sénateurs données par Sylvestre Huet via "Libération" à l'adresse suivante : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2008/12/budget-2009-qua.html#more. En voici l'extrait.


Le budget 2009 de l'enseignement supérieur et de la recherche présenté par Valérie Pécresse est-il bon ? Oui, répondent les sénateurs soutenant le gouvernement. Non, rétorquent ceux de gauche. Jeu de rôle convenu. Pourtant, à éplucher le compte-rendu analytique de la scéance du 28 novembre au Sénat, on trouve quelques pépites, à droite, et à gauche.
- Le Plan Campus. "5 milliards", claironne le ministère. Plus prudent, le sénateur Philippe Adnot (droite)rapporteur spécial de la commission des finances, donne le "vrai chiffre" pour 2009 : "Mentionnons, enfin, l'opération Campus, qui doit doter la France d'une dizaine de campus accueillants et performants, compétitifs sur la scène internationale. Le ministère les a sélectionnés pour « leur ambition scientifique et leur rayonnement international, l'urgence immobilière et les projets présentés en termes de vie de campus ». Le financement de l'opération, extrabudgétaire, provient des produits financiers issus du placement, sur un compte spécifique, du produit de la vente par l'État d'une partie de ses actions d'EDF -3,7 milliards sur les 5 milliards prévus sont déjà réalisés. En 2009, 157 millions doivent être ainsi mobilisés. Il est essentiel, madame la ministre, d'engager le mouvement, et nous vous demanderons des précisions sur le calendrier."
Alors, ces cinq milliards ? C'est pour quand ? Un élément de réponse de la part de Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. "Devant la commission, vous nous avez assuré qu'au-delà des dix grands projets initialement retenus dans le « Plan campus », et qui bénéficieront de 800 millions entre 2009 et 2011, onze autres projets méritaient une attention particulière et recevraient 400 millions sur trois ans. L'excellence doit effectivement être partout encouragée et récompensée mais qu'adviendra-t-il des universités qui n'auront pas bénéficié de ce plan ?". Bonne question monsieur le Sénateur. Retenons l'info : 800 millions, moins 157 en 2009, égale 643, au plus, pour 2010 et 2011. A diviser par les dix campus... Et à comparer aux cinq milliards, environ, de dépenses urgentes pour mise en sécurité et aux normes des bâtiments universitaires existants selon les services du ministère...
- Le budget. Daniel Raoul, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a un gros doute : "Je me cantonnerai au domaine de compétence traditionnel de la commission des affaires économiques, à savoir la politique de la recherche. Le Gouvernement a annoncé une augmentation de 863 millions d'euros du budget de la recherche en 2009. Mais près de 20 % de cette somme est destiné au financement des retraites des personnels ; les crédits des programmes de recherche stagnent." Ah, finalement, c'est donc pour cela que les directeurs de labos ne voient pas la couleur de la manne budgétaire...
- Le Plan Licence. Toujours lucide, Jean-Léonce Dupont, souligne "S'agissant du premier bilan du « Plan licence », quelles suites envisagez-vous de donner aux propositions du groupe de travail chargé de formaliser un cahier des charges en vue de la création d'un bureau d'aide à l'insertion professionnelle au sein des universités ? Les pratiques sont très hétérogènes et l'implication des établissements très inégale. Je m'interroge également sur la relative modestie des crédits inscrits à ce titre pour 2009 et sur le risque d'émiettement des moyens consacrés à cette mission essentielle des universités."
- Le Crédit d'impot recherche. Christian Gaudin, rapporteur spécial de la commission des finances :" Le crédit d'impôt recherche (CIR) augmenterait de 620 millions, pour dépasser 2 milliards : j'espère que ces prévisions se vérifieront. Le CIR semble être une dépense fiscale structurante, résultant d'un vrai choix politique et très visible, notamment à l'étranger. Son efficacité doit être examinée avec soin, tant pour les PME que pour les grandes entreprises, j'y consacrerai mes prochains travaux de contrôle budgétaire ; l'Assemblée nationale a d'ores et déjà, avec l'article 46 bis, prévu qu'un rapport d'évaluation du Gouvernement sera transmis au Parlement avant le 30 novembre 2009." Oui, il serait utile de connaître ce rapport... surtout que l'étude des relations entre l'évolution du CIR et celle des dépenses privées de R&D semble indiquer que le premier n'a pas l'efficacité magique que semble lui prêter la ministre. Même Bercy commence à s'affoler de le voir s'envoler, au bénéfice premier des grands groupes industriels, sans bénéfice réel pour la collectivité. Le sénateur Daniel Raoul enfonce le clou : "Dans le contexte économique actuel, les entreprises suppriment des emplois et n'augmenteront probablement pas leurs investissements de recherche. D'ailleurs, comme l'a montré un rapport du Conseil d'analyse économique, ce crédit d'impôt profite essentiellement aux grands groupes, et constitue un effet d'aubaine plutôt qu'une réelle incitation à la recherche. Il conviendrait de cibler cette mesure en direction des PME innovantes." De son côté, Ivan Renar affirmait : "Rappelons qu'entre 2002 et 2006, les dépenses de recherche des entreprises ont augmenté plus lentement que les frais afférents au crédit d'impôt recherche. C'est pourquoi nous avions proposé de limiter la progression de ce dispositif pour augmenter les crédits des universités, mais cette suggestion n'a pas été retenue."
- L'emploi scientifique. Le sénateur Ivan Renar dénonce : "Vous supprimez plus de 900 emplois et programmez la disparition d'allocations doctorales et post-doctorales. Chacune des 130 chaires sera gagée par la suppression d'un poste à l'université et d'un autre dans l'organisme de recherche. Voilà un signal extrêmement négatif quand les étudiants boudent et que le nombre de thèses stagne." Et propose : "C'est aujourd'hui que se joue la qualité de la recherche pour les trente années suivantes, aujourd'hui qu'il faut mieux encadrer les étudiants de premier cycle, ce qui suppose de recruter mille enseignants-chercheurs au lieu d'imposer aux maîtres de conférences des heures supplémentaires qui les empêchent de poursuivre leurs recherches. C'est aujourd'hui que ces secteurs ne doivent plus être soumis à ce dogme intégriste qu'est le non-remplacement d'un départ en retraite sur deux."
- le rang de la France. Ivan Renar, souligne que "dans son discours d'Orsay, le Président de la République affirmait que la France, reléguée en seconde division de la recherche mondiale, ne serait plus la France. Or notre pays a perdu du terrain en très peu de temps. La France était en 1970 le 3e pays au monde pour les dépenses intérieures consacrées à la recherche et au développement en proportion du PIB ; elle était encore au 5e rang en 1985, au 7e en 1995, mais elle est aujourd'hui tombée au 14e rang. Le taux de 2,08 % du PIB consacré à la recherche est le plus bas depuis vingt-cinq ans ; pour la seule recherche civile, ce taux stagne en dessous de 1,90 %. Dans le même temps, d'autres pays progressent : l'Allemagne dépense, en proportion, un tiers de plus que la France pour sa recherche civile, la Japon 75 %, et la Finlande 82 %."Depuis cinq ans, les gouvernements successifs ont répété que la France financerait massivement sa recherche publique, à hauteur d'1 % du PIB. Le budget de la recherche serait ainsi devenu l'un des plus élevés du monde. Mais on en est loin. Le financement public de la recherche s'élève à 0,85 % du PIB, mais cela comprend la recherche publique menée par les universités et les organismes, la recherche militaire, les « grands programmes » nucléaires, spatiaux et aérospatiaux en partie, ainsi que diverses recherches industrielles. Pour la recherche publique stricto sensu, la France ne dépense que 0,6 % du PIB et se trouve en 18e position mondiale, après la Turquie."

07 décembre 2008

Gauchet et cie : Conditions de l'éducation - éducation et démocratie

Après "Pour une philosophie politique de l'éducation", le trio Marcel Gauchet, Marie-Claude Blais et Dominique Ottavie vient de faire paraître, Conditions de l'éducation, Paris, Stock, 2008.

" Jamais l’accord sur les objectifs et les valeurs de l’éducation n’a été aussi large : tout le monde se retrouve dans l’idéal d’une éducation vraiment démocratique. Mais jamais l’incertitude n’a été aussi grande quant aux moyens à employer pour y parvenir. Les divisions font rage chez les professionnels de l’éducation. Les uns souhaitent le retour à des pratiques qui, disent-ils, ont fait leurs preuves ; les autres s’efforcent d’adapter les discours et les pratiques à une réalité sociale nouvelle et confuse. L’effort des trois auteurs est ici de repenser radicalement le lien entre démocratie et éducation, en s’interrogeant cette fois sur les conditions de l’enseignement. Car nous nous accordons tous pour dire que l’école doit transmettre des savoirs, mais nous ne savons plus quelle signification ce mot a aujourd’hui. Qu’est-ce qu’un savoir dans un monde qui égalise toutes les convictions ? Qu’est-ce que l’autorité dans un monde qui énonce l’égalité des individus ? Qu’est-ce que la transmission dans un monde marqué par l’instantanéité et la coupure des générations ? Tant que l’on n’aura pas posé ces questions, et qu’on ne leur aura pas trouvé d’éléments de réponse, on continuera à ne pas savoir ce qu’enseigner veut dire."

Appel des maîtres d'école primaire

contre la démolition de l'école publique.
La pétition demandant la démission de X. Darcos, lancée le 23 novembre, a recueilli à ce jour plus de 10.000 signatures.
Ici, un lien vers le texte de la pétition, la liste des signataires, et un document d'information (8 p.) sur le contexte et les ramifications.