28 janvier 2009

DU LOCAL AU NATIONAL : LA POSITION DE LA 9e SECTION A L'UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE

Au-delà de la critique et de son statut, un peu d'action :


APPEL DE LA SECTION DE LANGUE ET LITTÉRATURE FRANÇAISES

La section de langue et littérature françaises (9e section CNU) de l’Université de Franche-Comté, réunie ce mardi 27 janvier 2009, proteste contre les « réformes » envisagées par le ministère :

• la réforme des concours de recrutement et de la formation des enseignants du premier et du second degré (ou « mastérisation »),
• le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs.

En conséquence, elle appelle :

• à la manifestation interprofessionnelle du 29 janvier,
• à la grève reconductible à partir du lundi 2 février, à moins que le ministère n’accepte de revenir sans préalable sur ses deux projets.

Présents : Caroline Cazanave, Marie-Pierre Gaviano, Margareta Kastberg, Béryl Lecourt, Anne Mantero, France Marchal-Ninosque, Arnaud Bernadet, Jean-Michel Caluwé, Bruno Curatolo, Bertrand Degott, Christian Mouchel, Jean-Marie Viprey.

Savoir et marchandisation

"Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d'échange, de trafic et pouvait s'aliéner. C'est le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient communiquées mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience, etc. - où tout enfin passa dans le commerce. C'est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d'économie politique, le temps où toute chose, morale, ou physique, devenue valeur vénale, est portée au marché".
Karl Marx, Misère de la philosophie (1847)

27 janvier 2009

Alain Badiou

Chat avec Alain Badiou, sur Libération, 26/09/09.
Kangourou. Il est de plus en plus clair que ce sont toujours les citoyens qui sont perdants, la crise l'a démontré amplement. Pourquoi la société donne-t-elle l'impression d'être neutralisée, incapable de réagir et d'exiger un autre modèle? Alain Badiou. La difficulté actuelle est qu'il est très difficile de résister et de réagir dans les cadres politique et institutionnel existants. Il faudrait inventer à la fois les moyens de réagir et le contenu de cette réaction. Cela prendra du temps, mais je reste convaincu que c'est possible. Senso69. Pensez-vous, comme l'a affirmé Jean-Luc Mélenchon hier soir chez Serge Moati, que l'ambiance se "pourrit" au plan des libertés publiques en France ces derniers mois sous l'action du gouvernement et du président? Sans aucun doute. Toute une partie de la politique de Sarkozy produit une diminution des libertés publiques. Il y a multiplication des contrôles, aggravation de peines, et attaques ouvertes contre les institutions chargées de défendre ces libertés. Il ne fait maintenant aucun doute que la conception que se fait Sarkozy de l'action de l'Etat est de façon principale une conception autoritaire et répressive. Hugues. Le PS appelle jeudi à une mobilisation "sociale et politique". Le temps est-il enfin venu de la mobilisation contre la politique de Sarkozy?Je ne crois pas que le PS ait démontré, dans la dernière période, une vocation particulière à être le moteur d'une mobilisation. Il semble plutôt courir après les initiatives prises en ce sens. Le temps est donc venu de cette mobilisation depuis longtemps. Toute la question est de savoir si elle va enfin s'unifier et se renforcer.Equalbeings.net. Pendant le premier tiers de son quinquennat, y a-t-il eu des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas dans la politique qu'a menée Sarkozy avec ses ministres et capitalo-parlementaires complices ? Avez-vous été surpris ou bien au contraire a-t-il été à la hauteur de vos "espérances"?Une partie de l'action répressive de Sarkozy a été au-delà de ce que je pouvais imaginer. Je citerai notamment la rétention administrative concernant les malades mentaux, et les tentatives répétées de durcissement sans limite de la répression des mineurs. D'un autre côté, on peut évidemment être surpris de l'intervention systématique de l'Etat pour renflouer les banques, alors que la doctrine libérale voulait comprimer, presque sans mesure, les dépenses publiques.Prataine. Nous sommes sans doute nombreux à attendre que des "intellectuels" s'il en existe encore, sortent du silence, que des grandes voix s'élèvent, ensemble, et de manière forte, pour ne pas laisser nos braves instits seuls à "résister" et à "désobéir". Que quelques universitaires, qui ne courent aucun risque, élèvent le ton et passent à l'action...Il me semble injuste de dire qu'aucun intellectuel ne prend aujourd'hui la parole contre l'état des choses. Il est vrai que nous sortons péniblement d'une période où bon nombre d'intellectuels paraissaient s'accomoder de l'ordre établi. Je crois et plus encore, je souhaite, que cette situation change. En tout cas en ce qui me concerne, le fait nouveau n'est pas tant que je prenne la parole, que le fait qu'elle soit plus entendue qu'autrefois.Soussou. Que pensez-vous du traitement de l'information en France concernant l'agression israélienne sur Gaza?Je voudrais intervenir sur un point d'apparence secondaire mais à mes yeux, très important: il aurait été essentiel de produire plus d'informations et de témoignages sur les manifestations opposées à la guerre, en Israël même. Ce courant était, certes, minoritaire, mais il existait, il était courageux et déterminé, et si l'avenir doit être celui de la paix, c'est ce courant qui incarne l'avenir.Simone. Tu es athée. Dirais-tu que les religions ne sont jamais autre chose que des formes archaïques ou totémiques de la politique? Politique comme destitution de la transcendance comme norme du destin collectif?Ma position sur ce point, renforcée par un récent voyage en Palestine, est qu'il est aujourd'hui tout à fait décisif de séparer la politique de la religion.Tout comme il faut la séparer, par exemple, des questions raciales ou identitaires. Des religions peuvent et doivent coexister dans un même pays, mais elles ne le peuvent que si la politique et l'Etat en sont séparés.Spartacus2. Pensez-vous que les Francais se réveilleront avant la fin de ce quinquennat? Car quand on pense qui a été élu en 2007, cela en dit long sur l'etat de délabrement du cerveau de nos nombreux concitoyens...L'élection de Sarkozy est le résultat de deux processus. Premièrement, la captation des voix du Front national par la droite classique, et deuxièmement, le caractère illisible de la politique de la gauche. Ce n'est que dans cet élément que les cerveaux ont pu se ramollir.Xalatparis. Pourquoi le non au référendum européen n'a-t-il pas provoqué un éclatement du Parti socialiste et par là même une reconstruction cohérente à gauche?L'avenir a montré que dans une large mesure le ralliement de certains dirigeants du PS au non du référendum correspondait plus à un choix tactique, interne au parti, qu'à une volonté sincère de créer une nouvelle gauche. Ce vote a été en réalité instrumenté, bien plus qu'il n'a trouvé son expression politique.Dodcoquelicot. La philosophie s'invitant auprès de la politique, c'est nouveau? Croyez-vous que Nicolas Sarkozy en vaille la peine et n'est-ce pas lui faire trop honneur?L'engagement politique de la philosophie est une tradition française depuis le XVIIIème, je n'ai donc rien inventé. Quant à Sarkozy, il fonctionnait pour moi comme un symptôme de la situation de la politique actuelle, et c'est pourquoi je parlais de ce dont "il est le nom", et non pas de sa personne.Albanulle. Les intellectuels ont un petit porte-voix alors que les gouvernements et les institutions ont accès à un très gros micro et à des millions de téléviseurs. Pensez-vous comme Chomsky que les mass media font leurs affaires de la manufacture du consentement en tournant l'économie politique à leur avantage? N'est-ce pas un détournement de la démocratie?L'Etat et les puissants ont toujours disposé de beaucoup plus de moyens et de propagande et d'information que les pauvres et les révoltés. Considérons par exemple l'appareil de propagande de l'Eglise au Moyen-Age, avec une église dans chaque village, il n'y a là rien de nouveau. Le succès du mouvement populaire ou des révolutions a toujours dû triompher des opinions dominantes. Et nous savons que c'est possible, y compris en utilisant certains des nouveaux moyens disponibles, comme l'imprimerie, la radio, la télévision et finalement Internet.Gogol. Vous ne pensez pas qu'il y a une juste mesure entre le capitalisme débridé d'un Sarkozy et votre ligne radicale archaïque ?Commençant son aventure il y a quatre siècles, le capitalisme, même débridé, est beaucoup plus ancien et archaîque que toutes les lignes radicales qu'on lui oppose. Cessons de considérer que le libéralisme, à la mode dans les années 1840, incarne la modernité et les réformes. C'est le communisme qui est une idée neuve en Europe.Simone. Quelles sont les limites politiques des émeutes de la jeunesse en France?Le problème est un problème d'unité de la jeunesse, et ensuite de l'unité de la jeunesse et de la masse des travailleurs ordinaires. Sur le premier point, la limite c'est qu'il n'y a, pour l'instant, pas de convergence réelle, entre les émeutes de la jeunesse populaire et la protestation des lycéens et des étudiants. Sur le deuxième point, la limite est qu'il manque un mot d'ordre unificateur qui pourrait être commun à la frustration de la jeunesse et aux graves difficultés de la vie des adultes.

26 janvier 2009

Brève réponse à Serge Martin

J'ai bien lu le commentaire et les objections. Concernant l'ambiguïté qui entourerait le mot "intelligence" dont je ne vois ici ni la portée psychologique ni la dimension sociologique (élitisme), il faudrait quand même se reporter au contexte d'emploi du mot en lien direct avec le discours présidentiel, plutôt que de plaquer des critiques a priori, et de s'en remettre à un discours prédigéré, "essentialisations réalistes", etc. Quant au mépris, il est en face justement, et c'est bien là l'un des problèmes : il procède d'une idéologie anti-intellectualiste typique des droites révolutionnaires de la fin du XIXe siècle dont le sarkozysme nous offre aujourd'hui de beaux relents. Surtout, je persiste à penser qu'il s'agit d'autre chose simplement que d'une haine de la critique (évaluation bien faible de la situation politique actuelle) mais d'une confrontation entre savoir et pouvoir où le statut de la critique a évidemment toute sa place. Enfin, que le mouvement actuel se replie sur le minimum syndical constitue là encore un diagnostic erroné. Dire "et celui-là je n'en veux plus" est un geste plein d'humeur mais aussi de hauteur, et la phrase a déjà été entendue ailleurs... Sauf qu'elle ne dit pas où elle place le combat et ne suggère aucun horizon pratique dans l'immédiat. A ce titre, il conviendrait aussi de suivre les conflits qui traversent l'Université et le CNRS autrement qu'à travers le récit médiatique ou para-médiatique : les réflexions conduites par ARESER, SLR ou POLART depuis plusieurs années, notamment les questions concernant l'Europe de la connaissance vs "l'économie de la connaissance", et les dossiers conduits dans ce domaine par C. Joubert et E. Baneth, problématiques également abordées dans le travail collectif sur "Débat et démocratie". Autant d'analyses qui débordent largement les oppositions, les prises de positions ou les défenses caractéristiques du "minimum syndical". Il se passe bien plus de choses qu'on ne voudrait le dire. Encore faut-il aller voir de plus près et s'informer correctement.

22 janvier 2009

En haine des savoirs

Pendant que 46 universités étaient représentées dans le cadre de la Coordination nationale aujourd'hui, posant très clairement un ultimatum à Valérie Pécresse quant aux retraits sur le décret de la mastérisation et celui des statuts des enseignants-chercheurs, le Président de la République pérorait sur la politique scientifique dont devrait se doter la France. Le discours est visible et audible à l'adresse suivante : http://www.elysee.fr/accueil/. Comme le relève un journaliste de Libération, le propos est d'une rare violence, et marque un pas vers un durcissement encore plus autoritaire à l'égard des mouvements de révoltes, hélas bien fédérés, des universités, et masque avec peine une forme d'insulte et de mépris. En haine de l'intelligence, tel est le sens de la politique scientifique de l'Etat français, s'il est vrai que la menace a été réitérée de ne pas verser finances aux universités qui ne mettraient pas en oeuvre les réformes de Napoléon V le minuscule. En haine des savoirs, s'il est vrai qu'il s'agit de les mettre au pas. Il ne manquait plus que le bruit des bottes et le cliquetis des fusils. Subtil et nuancé, fin connaisseur de l'histoire du pays dont il a la charge, Sarkozy a rappelé pour lui les 3 moments clefs de l'université et de la recherche : 1945 et l'après-guerre, l'effort des années 60 notamment avec le déploiement des structures CNRS, et le figement des années 80. Oubliant au passage la crise de mai 68... Il est à craindre pourtant qu'il ne soit pas si aisé de soumettre à sa volonté le champ du savoir et ses acteurs. 2009 sera l'année de l'action, affirme le Président de la République. Oui. L'Université française sera l'échec majeur de Nicolas Sarkozy.

20 janvier 2009

Compte rendu et résolutions AG Strasbourg

A l’initiative du collectif de l’Appel de Strasbourg (http://appeldestrasbourg.unistra.fr/) une Assemblée Générale des personnels s’est tenue à Strasbourg le mardi 20 janvier de 10h à 12h30. Elle a réuni, selon les moments, entre 150 et 180 membres des personnels de l’UdS : chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs des universités, du CNRS et de l’INSERM, ainsi que quelques étudiants… Au terme de cette Assemblée Générale les résolutions suivantes ont été adoptées (la quasi totalité à l’unanimité) :

Recherche :
- Affirmation de l’importance de la recherche fondamentale comme valeur forte de notre société et de son potentiel de créativité.
- Pour le maintien et le développement de l’indépendance de la Recherche par rapport au pouvoir politique.
- Pour le maintien d’un CNRS opérateur de recherche national couvrant tout le champ des disciplines.
- Pour la restitution de l’ensemble de leurs compétences aux instances représentatives des scientifiques dans les organismes.
- Pour un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires dans les universités et les organismes de recherche, et pour un financement récurrent des laboratoires, seuls à même d’assurer un avenir aux jeunes chercheurs et de garantir l’indépendance de la Recherche publique.

BIATOS et ITA
- Pour des créations de postes de titulaire et contre les suppressions de catégories C envisagées.
- Pour une revalorisation des grilles salariales tendant à revaloriser les métiers, en particulier pour les bas salaires.
- Contre la mise en place de primes au mérite.
- Pour la mise en place d'une convention collective au profit des nombreux contractuels de l'UdS, convention qui doit être négociée avec les organisations syndicales.

Réforme de la formation des enseignants :
- Pour le retrait de la réforme en cours et l’ouverture d’un débat approfondi avec tous les intéressés et pas seulement la CPU et les directeurs des IUFM.
- Pour le maintien d’une année de stage rémunérée.
- Contre la remontée des maquettes de master au ministère.
- Pour le respect du caractère national des concours de recrutement des enseignants.



Statut des enseignants-chercheurs :
- Pour un retrait du projet de décret modifiant le statut des EC et l’élaboration d’un nouveau texte issus d’une réelle concertation avec les enseignants-chercheurs.
- Contre l’augmentation des services d’enseignement.
- Pour le maintien d’une gestion nationale des carrières et d’une évaluation par les pairs.

Résolutions à l’attention du Président de l’UdS et des trois Conseils :
- L’AG demande à la présidence et aux trois conseils de se prononcer contre le projet de décret modifiant le statut des EC.
- L’AG demande à la présidence et aux trois conseils de se prononcer contre la réforme actuelle de la formation des enseignants et contre la réforme des concours.
- L’AG demande à la présidence et aux trois conseils de refuser la remontée des maquettes de master.

Résolutions d’actions :

- L’AG décide de mandater deux membres du collectif de l’Appel de Strasbourg pour représenter l’UdS à l’AG du 22 janvier se tenant à Paris 1 en vue de constituer une coordination nationale des universités.
- L’AG appelle tous les personnels à participer à la manifestation du 29 Janvier et à constituer un cortège unitaire des personnels et des étudiants.
- L’AG invite toutes les composantes, UFR et laboratoires à tenir des réunions et des assemblées afin de débattre et d’engager toutes les actions possibles, dont la rétention des notes d’examen et la grève reconductible des enseignements.


L’Assemblée Générale s’est achevée par un appel à étendre le collectif à 16 nouveaux membres qui s’ajouteront aux 22 membres actuels. Soit deux membres des provenances suivantes : ex-ULP, ex-URS, ex-UMB, organismes de Recherche, IUFM, IUT, BIATOS-ITA, étudiants. Il est prévu d’élire un bureau du collectif de l’Appel de Strasbourg.
Enfin une délégation de cinquante personnes a été envoyée au Congrès de l’UdS qui rassemblait les trois conseils et où elle a provoqué une interruption de séance afin de lire l’ensemble des résolutions de l’Assemblée Générale. Ce qui lui a été accordé par Alain Beretz, nouveau Président de l’UdS.

19 janvier 2009

Beckett et le théâtre de l'étranger (II) - Coulisses n° 38

Le deuxième volet de Samuel Beckett et le théâtre de l'étranger : art, langues, façons (coord. A. Bernadet et C. Joubert) vient de paraître dans la revue Coulisses n° 38, PUFC, 2009, p. 43-100.

Du témoignage à la relation avec le poème



Témoignages de l’après-Auschwitz dans la littérature juive-française d’aujourd’hui.
Enfants de survivants et survivants-enfants.
SCHULTE NORDHOLT, Annelise (éd.)
Amsterdam/New York, NY, 2008, 269 pp.

Pb: 978-90-420-2512-7
€ 54 / US$ 76

Raczymow, Wajsbrot, Lecadet, Wajcman, Orner, Aaron, Cormann, Modiano… Oler, Cohen, Perec, Federman, Kofman, Burko-Falcman, Meschonnic, Vargaftig, Goscinny… Qu’ont en commun ces deux ensembles d’auteurs juifs-français, qui diffèrent tant par le genre et le style de leurs œuvres ? Les premiers, nés après la Libération, enfants ou petits-enfants des survivants de la Shoah, n’étaient pas là, c’est pourquoi ils ne peuvent témoigner de ce qui pourtant a déterminé tout leur être. Les seconds, nés peu avant ou pendant l’Occupation, appartiennent à la minorité d’enfants qui survécurent miraculeusement aux persécutions, cachés dans des institutions ou chez des familles. Etaient-ils là, eux qui étaient généralement trop jeunes pour vivre consciemment ce qui leur arrivait ? Enfants de survivants ou survivants-enfants, leur expérience commune serait alors d’appartenir à l’après, de témoigner de l’après-Auschwitz, de la difficile transmission et élaboration de la Shoah, dans l’univers d’aujourd’hui. « Témoins absents » ou par procuration, ces auteurs sont à la fois le témoin de leurs aînés et, de plus en plus, témoins d’eux-mêmes, de leur propre expérience de l’après. Par des textes inédits des auteurs en question, des essais théoriques et des études critiques, le présent recueil espère mieux faire connaître la vaste et riche panoplie de leurs œuvres.

Table des matières
Introduction
I. Textes d’auteur
Henri RACZYMOW : Histoire : Petit h et grande hache
Cécile WAJSBROT : Après coup
Clara LECADET : Le gardien
Alexandre OLER : Pépé n’a rien dit
II. Les « enfants cachés » (essais) 
Yoram MOUCHENIK : Passeurs de mémoire. Elaboration et transmission, soixante ans plus tard, chez les enfants juifs, traqués et cachés en France pendant l’Occupation
Steven JARON : Le témoignage discret de Marcel Cohen
Susan SULEIMAN : Expérimentation littéraire et traumatisme d’enfance: Perec et Federman
Sara HOROWITZ : Sarah Kofman et l’ambiguïté des mères
Eléonore HAMAIDE : Les enfants cachés, de Georges Perec à Berthe Burko-Falcman : un monde à reconstruire, une mémoire à inventer
Serge MARTIN : Henri Meschonnic et Bernard Vargaftig : le poème relation de vie après l’extermination des Juifs d’Europe
Nicolas ROUVIÈRE : Astérix et les pirates, ou l’obsession que le pire rate : la conjuration d’un naufrage de l’histoire
III. Deuxième et troisième générations (essais) 
Fransiska LOUWAGIE : « Métastases » d’Auschwitz. Modalités et limites d’une tradition testimoniale
Catherine OJALVO : Une mémoire lacunaire mais exaucée
Timo OBERGÖKER : Shoah et récit fictionnel, un champ de force délicat : Le Non de Clara de Soazig Aaron
Jean-Paul PILORGET : Un théâtre pavé d’horreur et de folie : Toujours l’orage de Enzo Cormann
Katja SCHUBERT : Les temps qui tremblent ou un passé possible de ce présent ? A propos de l’œuvre de Cécile Wajsbrot
Annelise SCHULTE NORDHOLT : Perec, Modiano, Raczymow et les lieux comme ancrages de la postmémoire
Bibliographie

Un nouveau livre: vers une anthropologie poétique avec la littérature pour la jeunesse


S'appuyant sur une histoire longue, la littérature de jeunesse est un secteur important de l’édition. D’emblée internationale et profondément renouvelée depuis les années 1970, elle conteste les frontières des genres en mêlant traditions et innovations. 
Cet ouvrage observe ce que devient la littérature avec la littérature de jeunesse, aujourd’hui plus qu’hier. Se référant aux oeuvres incontournables, il montre la force de l’oralité, en écriture et en lecture, en texte et en image. 
Des rêveries aux aventures, des comptines aux contes, des témoignages aux fictions, une  anthropologie poétique se dessine : quelle littérature… de jeunesse ? Celle qui toujours commence !

Dans les librairies à partir du 20 janvier. Plus d'infos à cette adresse:
http://www.klincksieck.com/livre/?GCOI=22520100141680&fa=details

16 janvier 2009

Comment éteindre l'incendie ? Nouvelle danse du ventre de V. Pécresse.

Nouvel écran de fumée sur la mastérisation et le décret sur la modulation des services relatif aux enseignants-chercheurs. Mesures transitoires et stratégies d'improvisation. A dupe dupe et demi. Valérie Pécresse ne désespère pas de ses coups médiatiques qui ne trompent plus personne.
Masterisation: les annonces de Xavier Darcos et Valérie Pécresse sur les bourses, les stages et les mesures transitoires
Dossier d'actualité · Cette dépêche fait partie du dossier d'actualité suivant : ·
Masterisation de la formation des enseignants ·
"12 000 bourses sur critères académiques, calculées en fonction du revenu fiscal de référence des familles (jusqu'à 60 000 euros annuels), seront attribuées pour l'année de M2 aux meilleurs étudiants de M1", indiquent les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et de l'Éducation nationale, jeudi 15 janvier 2009 dans un communiqué commun sur la masterisation de la formation des maîtres. "Le montant maximum de ces bourses pourra atteindre 2 500 euros", précisent-ils. Cette disposition fait partie d'un nouveau "dispositif de bourses complémentaires aux bourses sur critères sociaux déjà existantes [qui] permettra désormais de favoriser la promotion sociale et la poursuite d'études vers les métiers de l'enseignement", ajoutent-ils.BOURSES. En outre, les étudiants ayant droit à une bourse sur critères sociaux échelon 0 (exonération des droits d'inscription et de sécurité sociale) "bénéficieront d'une bourse complémentaire de 1 449 euros annuels", annoncent les ministères. Les ministères rappellent aussi que "les étudiants inscrits en deuxième année des masters préparant aux métiers de l'enseignement et de la formation et qui prendront l'engagement de se présenter aux concours de l'enseignement, ont naturellement accès à l'ensemble des bourses sur critères sociaux et aides au mérite du ministère de l'Enseignement supérieur." ASSISTANTS D'ÉDUCATION. "5 000 postes d'assistants d'éducation seront également réservés aux étudiants de M2 inscrits aux concours de recrutement et 4 000 postes seront réservés aux étudiants souhaitant se destiner au métier d'enseignant inscrits en M1".STAGES. Autre annonce des deux ministères: au cours de la seconde année de master, "deux types de stage dans tous les types d'établissement scolaire par convention avec le ministère de l'Éducation nationale" sont envisagés: "des stages d'observation et de pratique accompagnée non rémunérés, 'filés' (3 heures par semaine pendant tout le semestre) ou 'groupés' (2 à 3 semaines au cours du semestre)", et "des stages en responsabilité proposés aux candidats admissibles ou non". "D'une durée maximale de 108 heures, ces derniers donneront lieu à une gratification: un étudiant effectuant un stage d'une centaine d'heures se verra ainsi indemnisé à hauteur de 3 000 euros environ." Les ministères précisent également que "50 000 lieux de stages d'observation et de pratique accompagnée et 40 000 stages en responsabilité seront offerts aux étudiants". En outre, au cours de la 1ère année de master, "des stages d'observation pourront être offerts aux étudiants dans le cadre d'une convention avec le ministère de l'Éducation nationale". MESURES TRANSITOIRES. Les ministères annoncent que "les candidats non inscrits en M2 ou ne justifiant pas d'un master, mais ayant été présents aux épreuves d'admissibilité des concours organisés en 2009, pourront se présenter aux concours organisés au titre de la session 2010".Par ailleurs, "en accord avec la CPU, les ministres demandent aux universités de valider tout ou partie du M1 pour les étudiants ayant préparé les concours". "Pourront ainsi s'inscrire en M2 en septembre 2009: les candidats admissibles aux concours 2009 sans avoir à justifier d'un M1 et les candidats présents aux épreuves, titulaires d'un M1, mais non admissibles." "La validation partielle d'un M1 pour les candidats présents aux épreuves d'admissibilité sera appréciée au cas par cas, selon l'évaluation de leur parcours par les commissions d'équivalence des universités", précisent les ministères.
Révision du statut d'enseignant-chercheur: Valérie Pécresse annonce des modifications au projet de décret "Pour lever toute ambiguïté, je souhaite qu'une phrase évolue [dans le projet de décret] afin qu'il soit clairement écrit que le service d'enseignement est susceptible d'être différent de la norme de référence [plus ou moins 192h TD] en fonction de la nature des autres activités [et non plus seulement en fonction de la recherche] et de leur évaluation par le CNU." C'est ce qu'explique Valérie Pécresse au sujet du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs (L'AEF n°103921 ). Elle intervenait devant la CP-CNU, jeudi 15 janvier 2009. La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche admet que la "rédaction actuelle n'était pas suffisamment explicite". "Il sera ainsi extrêmement clair que la modulation de service englobe et valorise toutes les activités et que l'objectif n'est pas d'augmenter le service d'enseignement des enseignants-chercheurs", ajoute-t-elle. "Au contraire, les obligations d'enseignement pourront être inférieures si l'activité de recherche est d'une très grande qualité ou si l'engagement professionnel se vérifie dans les autres missions." La ministre rappelle que "le projet du nouveau texte maintient un service d'enseignement de référence" de 192h de TD, et que c'est "à partir de ce service que peuvent être établies les équivalences horaires avec les autres activités, toutes les autres activités et fonctions des universitaires".CHARTE NATIONALE DES ÉQUIVALENCES ET INSTANCE NATIONALE DE RECOURSEn outre, pour la répartition des services, Valérie Pécresse propose "d'élaborer un corpus d'équivalences et de modalités pratiques de décompte des différentes fonctions des enseignants-chercheurs qui aboutirait à une charte nationale, sur laquelle s'appuierait un cahier des charges annexé au contrat quadriennal de chaque université". "Je comprends que vous souhaitiez une base de référence la plus commune possible entre tous les établissements et pour tous les enseignants-chercheurs, conforme à votre statut national", indique-t-elle aux membres de la CP-CNU. Elle précise que "les universités, autonomes, pourront bien sûr s'écarter de cette charte nationale" et mettre en oeuvre leur propres gestion des ressources humaines. Cette charte sera élaborée avec "les partenaires de la concertation" et devrait être connue dans les mois qui viennent, précise la ministre.Autre modification annoncée par Valérie Pécresse: la création d' "une instance nationale spécifique émanant du CNU qui puisse être saisie des demandes de promotion par ceux qui, classés A par le CNU deux années consécutives, n'auraient pour autant pas été promus". Cette instance "sera donc chargée de réexaminer les situations individuelles pour assurer l'harmonisation nationale des promotions et pour prévenir tout risque d'injustice". Elle précise que "les décisions ainsi prises, sur la base d'un pourcentage des possibilités de promotion de l'ordre de 5%, s'imposeront à l'université d'affectation de l'enseignant-chercheur et l'incidence de la promotion en sera portée l'année suivante sur son contingent".PROPOSITIONS DE PROMOTION DU CA MOTIVÉES ET PUBLIQUESEn outre, elle annonce que "la publicité des décisions [du CNU] sera assurée sur le site du ministère, y compris d'ailleurs, en référence supplémentaire, la publicité de la situation du corps au regard de l'ancienneté et du grade, des enseignants-chercheurs". De même, "toutes les propositions d'avancement formulées par le CA de l'université devront être motivées et rendues publiques". En effet, elle estime impossible que les enseignants-chercheurs puissent "se sentir soumis, sans autre issue, aux décisions de leur université". De même, elle mesure "la perception des disciplines peu représentées sur le plan national ou au sein d'un établissement, craignant que les politiques portées par les universités ne tendent à les oublier au bord du chemin".La ministre rappelle qu' "aujourd'hui, la moitié des promotions est réalisée par l'université sans aucune base d'analyse externe objective, ni sur l'activité de recherche, ni sur l'activité d'enseignement, tandis que l'autre moitié des promotions est effectuée par les différentes sections du CNU, sans qu'une harmonisation n'intervienne dans les modes de fonctionnement ou les critères retenus par les sections". Elle rappelle ainsi que ce que propose le nouveau texte est "différent: une évaluation nationale de tous les universitaires, sur laquelle se fondent les décisions de l'université et une analyse rigoureuse et elle aussi publique, de la politique menée en ce domaine par l'université, effectuée par l'Aeres et le ministère dans le cadre du contrat pluriannuel". L'entourage de la ministre indique également à l'AEF qu'un travail va être mené pour élaborer une sorte de modèle de dossier d'évaluation à transmettre au CNU. Ce dossier comprendra le rapport et le projet d'activité rédigé par l'enseignant-chercheur ainsi que les évaluations des étudiants, et l'avis de l'université sur ses missions d'administration.DONNER LES MOYENS AU CNU D'ASSUMER SA MISSION"Le rôle du CNU devient majeur: pour la première fois, une instance externe, nationale, indépendante, organisée par section disciplinaire, évaluera chaque enseignant-chercheur régulièrement, pour que l'université dispose des éléments objectifs lui permettant de se prononcer", considère la ministre. Ainsi, "nous allons travailler avec le CNU pour envisager un projet de décret fixant ses nouvelles missions", indique-t-elle. La ministre s'engage "à ce que le CNU et ses membres aient les moyens matériels d'assumer une mission élargie". Le CNU sera ainsi doté d'un "secrétariat permanent identifié et étoffé, au sein de la DGRH, organisé selon la taille des sections, par section ou groupe de section". Des améliorations seront aussi apportées à la situation des locaux mis à disposition pour les séances de travail en commun.Enfin, "une indemnité substantielle prendra en compte l'investissement des membres du CNU, une seule indemnité variable en fonction des responsabilités assumées au sein de la section et du nombre de dossiers examinés, car la responsabilité de qualification et celle d'évaluation, d'égale importance et dignité, n'ont pas vocation à être scindées". La ministre ajoute que "cette indemnité versée par le prisme des établissements d'affectation sera convertible à une demande en décharge, laissant toute latitude de choix". "Le mode de calcul et le montant de cette indemnité en fonction des paramètres évoqués plus haut ne sont pas arrêtés, mais je m'engage à ce que les crédits dédiés aux indemnités des membres du CNU soient au moins entre trois et quatre fois ce qu'ils sont aujourd'hui", ajoute-t-elle.
Whaou !!!!!!!!!!! Impressionnés, non ???????????????

15 janvier 2009

Paris 8 : de Saint-Denis à Vincennes : hagiographie et narcissisme

Un bel exemple de non-pensée du présent : retour aux origines, idéologie et "satisfecits" en tous genres. Ou comment ne pas repenser les rapports entre université et société, université et utopie, au moment où les savoirs sont littéralement laminés par le pouvoir en place. La grande messe du passéisme.
Je cite là un article d'E. Launet dans Libération du 13 /01 / 09 :
"Autrefois lieu d’expérimentation, de résistance, d’analyse critique, l’actuelle Paris-8, malgré des moyens limités et un certain sentiment d’impuissance, veut remplir une «mission sociale et civilisatrice».
Le 13 janvier 1969, à 8 heures du matin, ils étaient cinq à attendre l’ouverture des portes du «Centre universitaire expérimental de Vincennes», à savoir quelques préfabriqués plantés dans le bois. Philippe Tancelin, 20 ans, était l’un d’eux. Comme les autres, il avait entendu parler de cette annexe de la Sorbonne, concédée par Edgar Faure à la jeunesse contestataire comme lieu d’expériences pédagogiques, et il voulait y suivre des études de cinéma, dès la première heure.
Quarante plus tard, Philippe Tancelin est professeur de philosophie esthétique à l’«université de Vincennes à Saint-Denis», alias Paris-8. Les préfabriqués ont été rasés en 1979, enseignants et étudiants ont migré vers le nord de Paris, l’eau a coulé sous les ponts, le monde a changé. «Pour ma génération, estime Tancelin, ce quarantième anniversaire est un deuxième rendez-vous avec l’Histoire, passionnant. Car nous vivons aujourd’hui le même sentiment d’urgence qu’hier, mais à l’envers.» Résumons : en 1969, la société s’ébroue. Dans la foulée de 68, il y a un «courage de la parole», une «audace de la pensée», un «sentiment de puissance». La société s’offre le luxe, à Vincennes (Val-de-Marne), d’un laboratoire de rénovation de l’université, soit un lieu d’expérimentation et de confrontation interdisciplinaire.
«En 2009, poursuit le prof sexagénaire, tout s’est inversé : sentiment d’impuissance, peur de s’exprimer, difficulté de penser un avenir. Cette nouvelle crise peut être pour notre université l’occasion de se recomposer en lieu de réflexion sur la société. Mais avons-nous encore ces valeurs des origines qui sont le refus, la résistance, l’analyse critique?»
«Lieu criminel». Hélène Cixous, l’une des fondatrices de Vincennes, pense que l’esprit de résistance est toujours là : «Même si les temps sont effroyablement difficiles, on peut rallumer quelque chose parce qu’il reste des braises.» En 1965, Cixous démissionne de son poste à la fac de Bordeaux pour protester contre la sclérose de l’université. Peu après, elle refuse un poste de maître-assistante à la Sorbonne mais tient à aller s’en expliquer avec Raymond Las Vergnas, vice-doyen et directeur des études anglaises. Elle dénonce alors une université devenue «lieu criminel à l’égard de l’esprit». Bref, nourrie des textes de Blanchot, de Gracq, de Cortazar et autres rebelles, la jeune universitaire se fait une réputation d’insoumise. Si bien que Las Vergnas, au sortir d’une entrevue avec Edgar Faure à propos d’un projet d’annexe expérimentale à Vincennes, lui propose de prendre les choses en main. Avec les conseils de Jacques Derrida, Hélène Cixous suggère un premier noyau de 40 profs, parmi lesquels Alain Badiou, Robert Castel, Michel Foucault, Michel Serres. L’effervescence brouillonne de Vincennes commence.
Quarante ans plus tard, Marie-Hélène Tramus affirme toujours ressentir cette effervescence à Saint-Denis. Elle fut elle aussi une des premières étudiantes de janvier 1969. Bac C en poche, elle voulait faire les beaux-arts ou peut-être de la philo. Mais Vincennes lui permet de se concocter un cocktail sur mesure : «Un tiers philo, un tiers maths, un tiers arts plastiques», se souvient-elle. Elle vit à Vincennes la grande aventure du croisement des arts et des sciences, notamment la création du Groupe art et informatique de Vincennes (G.A.I.V.). Aventure qui s’est poursuivie à Saint-Denis avec la création d’un département Arts et technologies de l’image, dans lequel elle enseigne aujourd’hui. L’interdisciplinarité est donc toujours bien vivante, même si elle se pratique dans des conditions matérielles difficiles.
Souffle novateur. Le jeune (39 ans) président de Paris-8, Pascal Binczak, dit lui aussi percevoir encore le souffle novateur de Vincennes, où sont nées des filières comme les études féminines ou la géopolitique. «L’expérimentation a perduré ici, avec la création du premier département universitaire de danse en 1989, le premier département de photographie, le seul département de psychanalyse en France, etc.», énumère Binczak. Mais, en sus des champs disciplinaires inédits, il y a surtout «la singulière et attachante proximité entre les corps enseignant, étudiant et administratif, héritée des origines». Le président lui-même est animé d’une belle foi : «Il n’y a à Saint-Denis pas de rupture idéologique ou épistémologique avec Vincennes. Nous ne sommes pas qu’un centre de formation, nous avons une mission sociale et civilisatrice», martèle celui qui est né quelques mois après qu’ont été érigés les préfabriqués du bois de Vincennes. S’il est vrai que les grandes choses naissent, ou renaissent, dans l’adversité, alors Paris-8 semble singulièrement avantagée : le budget de recherche (1,3 million) est «inférieur à celui du gardiennage», et vingt fois inférieur à celui d’une grande université scientifique.
Ce mélange d’effervescence et de misère, Anne Berger est bien placée pour l’analyser. Etudiante vincennoise de 1976 à 1979, aujourd’hui professeure au Centre d’études féminines et d’études de genre (autre héritage de Vincennes), elle a été enseignante à l’université de Cornell (Etat de New York) de 1984 à 2006. Anne Berger a pu mesurer là-bas ce que la recherche américaine en sciences humaines et sociales devait à la french theory - dont la plupart des artisans s’ébattaient à Vincennes dans les années 70 - mais elle a vu aussi, «en 2004, l’année où Jacques Derrida est mort», le courant d’idées changer de sens. «Hier c’est Derrida qui était invité aux Etats-Unis, aujourd’hui c’est Judith Butler qui est reçue en France. Désormais, nous importons massivement du continent américain, en ignorant parfois nos propres apports à la pensée américaine. Il ne faudrait pas oublier que les études féminines se sont développées à Vincennes dès le début des années 70.»
Anne Berger a hérité de sa mère, Hélène Cixous, une même faculté d’indignation. «L’université française est dans un état lamentable. Et maintenant, la tutelle nous fait le coup de la professionnalisation. Les sciences humaines et sociales n’assureraient pas assez de débouchés, nous dit-on, et les profs devraient s’occuper d’insertion professionnelle. C’est scandaleux. On semble avoir oublié que l’université n’est pas seulement un lieu où l’on étudie, mais d’abord un laboratoire de la confrontation des savoirs contemporains.» Face au climat général de misère politique, morale et intellectuelle qu’à Vincennes-Saint-Denis on ressent peut-être avec plus d’acuité qu’ailleurs, que peut faire une université de banlieue comme Paris-8 ? «Etymologiquement, la banlieue est un lieu de bannissement, mais c’est aussi un lieu de proclamation [le ban, ndlr]» sourit Philippe Tancelin. Il y aurait à Saint-Denis une nouvelle génération «très généreuse» et «très politique», mais pas au sens ancien du mot. Les étudiants de premier cycle, dont beaucoup viennent des environs et sont majoritairement d’origine non-européenne, apporteraient une énergie radicalement neuve.
«Lieu post-colonial». «Paris-8 est intéressant comme lieu post-colonial», note Anne Berger. Le problème, constate-t-on là comme ailleurs, est que l’énergie de la génération 2009 est souvent celle du désespoir, alors que celle de 1969 carburait à l’espoir et à l’utopie. «Cet anniversaire est particulièrement émouvant parce qu’on le célèbre au moment où la génération des fondateurs s’apprête à partir à la retraite», confie Pascal Binczak. Ce qui confère évidemment à la génération suivante une responsabilité immédiate. «Hélas ! regrette Philippe Tancelin, nous n’avons pas trop eu le souci de transmettre.» Il faudra repartir sur des bases neuves. «Le laboratoire de Vincennes a été possible parce qu’à l’époque le pouvoir a eu la trouille», se souvient Hélène Cixous. Aujourd’hui, malheureusement, la peur a changé de camp : la jeunesse de Seine-Saint-Denis vit dans la précarité matérielle et intellectuelle, tandis qu’au sommet de l’Etat, un courant réactionnaire se développe dans une désinhibition absolue. Et ça pète quand ?
«Pénurie».«Paris-8 reste un lieu d’effervescence et tente d’être un laboratoire d’analyse du monde contemporain, mais avec des moyens très réduits : nous sommes en train de basculer dans la gestion de la pénurie, constate le président Binczak. Le rôle moteur de l’université dans la société, nous essayons au moins de l’assumer au niveau microgéographique», dans le département le plus pauvre du pays. «Nous sommes harcelés, méprisés, et sous couvert d’"autonomie" donnée aux universités, c’est exactement le contraire qui se passe : il y a une mise au pas de la recherche et de la pédagogie, dénonce Anne Berger. Mais au moins, à Paris-8, il reste une flamme. Nous avons besoin aujourd’hui de l’esprit de Vincennes. Et nous nous devons qu’il se passe à nouveau quelque chose.»
D’abord, il faudra des idées. «Rien n’est perdu, même si la nef magique, celle des Derrida et des Foucault, n’existe plus. Des choses comme cela ne se produisent que tous les quarante ans», a compté Hélène Cixous.
Quarante ans ? Mais c’est maintenant".

13 janvier 2009

APPEL DE STRASBOURG

A la suite de l’Assemblée Générale du 10 décembre 2008 un collectif composé d’une
vingtaine de personnes appartenant à la communauté scientifique du pôle universitaire
de Strasbourg(chercheurs, enseignantschercheurs,ingénieurs, techniciens et administratifs de l’universités, du CNRS et de l’INSERM) a rédigé un Appel à défendre les valeurs de l’Université et de la Recherche. Cette initiative transcende les disciplines comme les appartenances syndicales ou politiques. Elle vise à rassembler le plus
largement possible. L’Appel de Strasbourg sera très bientôt le support d’une pétition nationale à
destination de l’ensemble des chercheurs, enseignants-chercheurs, personnels et étudiants des
universités françaises et de tous les organismes de recherche car les rédacteurs de l'Appel estiment que seule une très large mobilisation permettra de faire enfin entendre aussi bien nos refus que notre force de proposition.
Il est important que tous se reconnaissent dans cet Appel, le signent et le diffusent largement.
Le collectif de l'Appel de Strasbourg

Assemblée Générale de tous les personnels de l’UdS le mardi 20 janvier à 10h (lieu précisé
ultérieurement)

Appel de Strasbourg
Pour une réforme concertée de l’Université, de l’Enseignement et de la Recherche

Au moment où les trois universités de Strasbourg, de leur propre initiative, se rassemblent
pour former le plus grand établissement universitaire de France, nous, chercheurs, enseignantschercheurs
et personnels de la nouvelle Université de Strasbourg et des organismes de recherche,
lançons un appel solennel au gouvernement et aux ministères dont nous dépendons pour qu’ils
mettent fin à leur entreprise aveugle de destruction de l’enseignement supérieur et de la
recherche.
Scientifiques, nous ne sommes en aucun cas hostiles à une réforme concertée. Au lieu de cela
notre gouvernement prend prétexte d’une prétendue urgence pour faire l’économie de la réflexion et
du débat. Il persiste à nier notre expertise et nos propositions - celles faites, par exemple, lors des Etats
généraux de la recherche en 2004 ont été largement ignorées. Il ne respecte pas la collégialité des
décisions en usage dans notre communauté depuis fort longtemps. Nous tenons à rappeler que le
développement des connaissances et la transmission des savoirs sont les missions fondamentales de
l’Université : elles ne sauraient être soumises à des considérations uniquement utilitaires, ni être mises
en cause au nom de l’harmonisation européenne et d'un modèle entrepreneurial inadapté aux
exigences universitaires
La réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) a conduit à une refonte complète des cursus dont
le bilan n’a pas été tiré. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) instaure
une présidentialisation excessive du pouvoir dans les universités. Des organismes de recherche comme
le CNRS ou l’INSERM sont démantelés. Les IUT - dont personne ne contestait l’efficacité - sont
menacés. Certaines bourses attribuées au mérite sont supprimées sans aucune explication. Les
nouveaux contrats doctoraux ne masquent pas la misère des moyens.
Et voici que le ministère de l’Enseignement supérieur rend public un projet de décret qui
modifie d’une manière fondamentale le statut des enseignants-chercheurs en privant ceux-ci de leur
indépendance intellectuelle. Voici que les ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement
supérieur exigent un bouleversement de la formation et du recrutement des enseignants du secondaire
dans un texte bâclé, confus et autoritaire, instituant des masters « métiers de l’enseignement » dans des
délais irréalistes et dans des conditions qui affaibliront sensiblement la qualité de la formation des
futurs professeurs, tout en rendant celle-ci plus longue et plus coûteuse pour les étudiants : l’année de
stage rémunérée est supprimée. Voici enfin que les valeurs républicaines et laïques sont remises en
cause par la reconnaissance internationale, à l’initiative de notre ministère des Affaires étrangères, des
diplômes délivrés par les instituts catholiques.
Les moyens promis ne suivent pas et les réductions de postes se confirment. L’objectif
commun à toutes ces réformes menées dans la précipitation et sans concertation est de permettre des
économies à court terme, sans souci du capital ainsi bradé. Elles conduisent aussi à une réduction du
temps consacré à la recherche. Cette réalité est aggravée par une avalanche de procédures d’évaluation
dont les excès, largement dénoncés, mobilisent des moyens considérables et nous détournent de nos
missions fondamentales : la recherche et l’enseignement.
Il est grand temps que le gouvernement nous entende : nous lui demandons instamment de
suspendre sans délai l’ensemble de ces réformes pour ouvrir enfin un grand débat national sur
l’Enseignement et la Recherche dont les principaux acteurs ne soient pas exclus, y compris les
jeunes chercheurs et les étudiants dont l’inquiétude est aujourd’hui aussi profonde que la nôtre. Nous
lançons un APPEL à toutes les universités françaises et à toutes les institutions de recherche afin
qu’elles unissent leurs voix pour une coordination nationale des actions à même de défendre les
valeurs républicaines de liberté et de laïcité du monde de l’éducation, de la science et de la recherche.

Pétition nationale en ligne à partir du mercredi 14 janvier : http://appeldestrasbourg.unistra.fr

Premiers signataires de l’Université de Strasbourg :
ANCORI Bernard (Professeur, Directeur de l'IRIST, ancien Vice-président de l'ULP) ;
BOURGUINAT Nicolas (Maître de Conférences IUF, Sciences historiques) ; BUGEAUD Yann,
(Professeur IUF, Mathématiques, UMR 7501) ; DEBARRE Olivier (Professeur IUF, Mathématiques,
ULP, puis Paris VII depuis septembre 2008) ; DUBOIS Vincent, Professeur IUF, Sociologie et science
politique, UMR 7012) ; HARTMANN Pierre (Professeur, Littérature française, directeur de l'Ecole
doctorale des Humanités) ; HURSTEL Françoise (Professeur Emérite de Psychologie clinique) ; LE
BRETON David (Professeur IUF, Sociologie, UMR 7043) ; MONSONEGO Georges (Physicien,
ancien Professeur de l’ULP) ; PELLAT Jean-Christophe (Professeur, Linguistique française, ancien
Doyen de l’UFR des Lettres) ; PETIT Pierre (Directeur de Recherche, Physicien, CNRS/ICS, UPR
22) ; PFEFFERKORN Roland (Professeur, Sociologie, Directeur d'Institut, UMR 7043) ;
SCHNEDECKER Catherine (Professeur IUF, Linguistique française, Responsable de l’EA1339) ;
UTARD Jean-Michel (Professeur, Sciences de l'Information et de la communication, UMR 7012).

12 janvier 2009

Récit et subjectivité : l'homo narrans

Homo Narrans (2 vols), d'Alain Rabatel, Limoges, Lambert-Lucas, 2009.

Homo narrans, c’est le sujet humain anthropologiquement saisi comme conteur d’histoires, l’Homme aux mille points de vue, aux mille voix. À l’analyse immanentiste du récit qui prévaut généralement en narratologie, l’ouvrage propose de substituer une approche énonciative et interactionnelle.
Le Tome I, Les Points de vue et la logique de la narration, est centré sur la problématique énonciative et interactionnelle des points de vue. Il distingue ces derniers selon leur source énonciative, leurs marques linguistiques et leurs effets textuels. Ce cadre, confronté à de grands textes (la Bible, les contes de Maupassant, Les Lauriers sont coupés, etc.), met en lumière des enjeux interprétatifs de premier ordre.
Le Tome II, Dialogisme et polyphonie dans le récit, montre comment l’approche énonciative des points de vue permet de définir le discours rapporté comme un discours représenté – comme la représentation des espaces mentaux par l’énonciateur citant. L’analyse des formes complexes de cette représentation (corpus d’Annie Ernaux, Renaud Camus, Jorge Semprun, Louis Calaferte, Lydie Salvayre, etc.) montre les relations dialogiques, d’ordre cognitif notamment, que l’énonciateur entretient avec lui-même et avec les autres.

08 janvier 2009

Pétition : contre les nouvelles réformes universitaires

Je transmets cette information diffusée sur la liste "Coordination universitaire" :

A la suite de la publication dans Le Monde du mardi 6 janvier 2009, de l'article intitulé "Université : pas de normalisation par le bas", signé par treize universitaires, beaucoup de collègues ont souhaité manifester leur soutien à ce texte en proposant de le signer. C'est la raison pour laquelle ce texte est désormais proposé à la signature de toute personne qui en approuve le contenu. L'objet de la pétition est de demander le retrait du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs.

La pétition est désormais en ligne. Elle est accessible à l'adresse suivante : http://petitions.alter.eu.org/universite

LA REPRESSION POLICIERE ET JUDICIAIRE COMME "DIALOGUE" AVEC LE MONDE DE L'EDUCATION

Ci-joint un article de Libération, par Véronique Soulé :
Un lycéen exclu, trois mis en examen, un professeur avec trois jours d’incapacité de travail après avoir été jeté au sol par un policier, aucun cours depuis la rentrée… Depuis le dépôt d’une plainte par la proviseure à l’encontre de trois élèves, le lycée Joliot-Curie de Nanterre (Hauts-de-Seine) s’enfonce dans la crise. Les élèves, soutenus par une bonne partie des enseignants, demandent le retrait de la plainte. En face, la proviseure et sa hiérarchie refusent.
Tout a commencé le 19 décembre. Ce jour-là, Christophe, 17 ans, redoublant en seconde, passe en conseil de discipline. Motif : 70 demi-journées d’absence. Il est exclu. A l’annonce de la décision, le lycéen et les deux déléguées, Gaëlle, 18 ans, en terminale L, et Sarah, 17 ans, en première techno, explosent de colère. Elles accusent la proviseure d’avoir fait payer C. pour avoir été l’un des animateurs des blocages contre les réformes Darcos. La mobilisation va continuer de plus belle, avertissent les lycéens, qui s’échauffent : «Vous allez voir, le lycée va cramer…»
Le 29 décembre, ils sont convoqués au commissariat de Nanterre ; la proviseure ayant porté plainte. Christophe et Sarah sont gardés à vue vingt-quatre heures. Puis ils sont envoyés au dépôt pour être déférés devant un juge des enfants. «Là, on nous a encore fouillés, raconte Sarah. Comme j’ai refusé que des policiers hommes palpent mes vêtements, une policière est venue, elle m’a fait rester toute nue pendant dix minutes.» Tous deux sont alors mis en examen pour «menaces de mort sur personne chargée de mission de service public et menace d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes». Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison. Gaëlle, elle, est poursuivie pour «outrage».
Echauffés.Exclu, Christophe a aussitôt été réaffecté au - paisible - lycée Richelieu de Rueil-Malmaison. Une rapidité inhabituelle qui en dit long sur la volonté du rectorat d’apaiser les passions à Joliot-Curie. En vain. Lundi, jour de la rentrée, les esprits sont échauffés. Les lycéens refusent de reprendre les cours : ils ne comprennent pas pourquoi l’affaire est allée si loin. Les trois mis en cause jurent qu’ils n’ont jamais voulu mettre le feu au lycée, que ce n’était qu’une façon de parler. La proviseure assure qu’elle s’est bien sentie visée.
Lundi, la police reste à distance du lycée. Mardi, elle est nerveuse. Alors qu’élèves et profs forment une chaîne humaine devant la porte, K., 15 ans, en seconde, est plaqué contre la grille du lycée, les bras tirés en arrière. Un policier le prévient que s’il milite, il doit en assumer les conséquences… Un enseignant d’anglais est projeté au sol par un policier qui le tutoie. Il s’en sort avec un traumatisme au tibia et trois jours d’arrêt.
Hier, profs et élèves ont fait chacun une assemblée générale. Les enseignants ont adopté, à une large majorité, une motion dénonçant les violences policières et exigeant le retrait de la plainte. Les élèves ont voté l’occupation du lycée et appelé à la manifestation parisienne d’aujourd’hui. La proviseure semblait tentée par la proposition des enseignants de créer une commission tripartite de médiation. Elle s’est déjà engagée à ce que les deux lycéennes qui restent à Joliot-Curie ne soient pas traduites devant le conseil de discipline. Mais pas question de retirer la plainte. Pour le rectorat, notamment, ce serait un signal désastreux adressé aux proviseurs, qu’il faut au contraire soutenir face aux «bloqueurs».
Camarades. «Ce que je déplore, c’est que trois gamins se soient retrouvés en garde à vue et que deux aient été déférés au parquet, alors que cette histoire aurait dû se régler dans le cadre du lycée, explique la mère de K., qui a témoigné en faveur de ses trois camarades. Je me sens moi-même désemparée : faut-il empêcher son gamin de s’engager alors qu’ont dit que c’est bien de militer à leur âge ? Est-ce qu’il n’y a pas autre chose à leur opposer que la violence ? On a parfois l’impression que ce sont les adultes qui en rajoutent.»