29 août 2008

La Pensée anti-68

Arnaud nous signale la parution du livre de Serge Audier, mdc en philo poltique à Paris 4 : La pensée anti-68 : essai sur les origines d'une restauration intellectuelle, La Découverte, 2008, 379 p.
Extrait de la quatrième :
"La haine de Mai 68 est devenue un thème à la mode. Le slogan de la droite, lors de la présidentielle de 2007, sur l'indispensable liquidation de 68, ne doit donc pas être réduit à un propos de campagne : il résulte d'un travail idéologique qui a commencé dès les lendemains des événements et qui s'est poursuivi, de commémoration en commémoration. Faut-il voir, dans cette fièvre anti-68, une simple 'rhétorique réactionnaire' ? Quelles en sont les origines ? 68 méritait-il un déchaînement de critiques, souvent injustes et infondées ?"

L' "innovation", paradigme offensif

Je transmets cette information AFP, annonçant la fonction clé de la politique du savoir du gouvernement actuel (et de la présidence européenne, qui confondent actuellement leur homme de la situation), qui vient d'être imaginée-instituée, et confiée à Claude Allègre. Annonce publiée dans les Actualités du site de Voila :


Allègre chargé par Sarkozy des Assises européennes de l'innovation
2008-08-28 20:26:07 PARIS (AFP)
© AFP

Nicolas Sarkozy, président du Conseil européen, a confié à l'ancien ministre socialiste de l'Education nationale Claude Allègre le soin d'organiser les Assises européennes de l'innovation, à l'automne, a-t-on appris jeudi auprès de l'Elysée.
Le site internet leparisien.fr avait auparavant annoncé cette mission, précisant que Claude Allègre devait prendre ses fonctions à partir du 1er septembre.
Dans une lettre datée du 23 juillet et rendue publique jeudi, le président Sarkozy écrit à M. Allègre que son "objectif" est de "faire en sorte que l'économie de la connaissance devienne (...) un moteur de développement de l'Europe".
Il charge l'ancien ministre PS de "faire des propositions concrètes pour mettre en place cette nouvelle stratégie" et "d'organiser à cet effet les Assises européennes de l'innovation à l'automne 2008".
Selon M. Sarkozy, il s'agit ainsi de "concrétiser et d'amplifier l'Agenda de Lisbonne", un programme décidé en 2000 et destiné à faire de l'Union européenne "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010".
M. Allègre, qui a tenu des propos élogieux sur le chef de l'Etat, a souvent été cité comme un possible ministre d'"ouverture" de M. Sarkozy.

Notes :

. l'innovation se confirme comme ce que, du temps où les sciences humaines étaient les productrices du vocabulaire intellectuel, on appelait un paradigme - notion nécessairement liée à l'historicité des cadres conceptuels : pas de paradigme sans changement de paradigme. On assiste à la transformation des horizons du travail intellectuel, qui se marque par le déplacement du point de regard de la recherche vers l' innovation.

. parmi les nombreux enjeux qui se renégocient et se déterminent comme les horizons politico-culturels de nos "vie des peuples" (Saussure) dans ce déplacement : un déport violent de la valeur nationale, prise au champ public de la recherche, et offerte aux champs privés de, d'un côté, l'économie mondialisée des produits d'enseignement supérieur, et de l'autre, du capitalisme cognitif - avec son activité constitutive : la captation des "externalités" (A. Gorz - voir par ex. L'Immatériel. Connaissance, valeur, capital, Galilée, 2003) que sont les énergies et richesses sociales, et culturelles, et artistiques, et scientifiques.

. la responsabilité confiée à C. Allègre revient à créer une fonction (temporaire : c'est le temps du coup stratégique, contraire à la temporalité de l'institution - trope ordinaire des dépolitisations courantes) de ministère de la recherche, déportée en dehors du ministère de l'enseignement et de la recherche. Et située dans le champ, qui continue à gagner en surface de domination, de l'Union européenne comme projet néolibéral, et de la (post)-industrie du concept, en concurrence agressive avec une république (et des cultures, dans l'Europe,) des savoirs. A quoi sert l'étranger.

. que l'économie de la connaissance soit "moteur de développement de l' Europe" : il y a à entendre ici que "Europe" ne dit pas "'Union européenne" ; et que "développement" est donné comme paradigme du projet politique - et ne dit pas ce qu'a longtemps dit "construction européenne", ou pas "politique". "Déveleppoment" tend l'oreille vers "pays dévelopés / pays sous-dévelopés" (et nous emmène sur le terrain d'une implication géopolitique très large de ces décisions) ; et vers "développement durable", autre paradigme et changement de paradigme (où plus ça change plus c'est peut-être la même chose).

09 août 2008

"Samuel Beckett et le théâtre de l'étranger" : parution Polart

Le dossier "Samuel Beckett et le théâtre de l'étranger : Art, langues, façons" (I), projet Polart coordonné par Arnaud Bernadet et Claire Joubert, vient de paraître dans la revue Coulisses, 37, printemps 2008, pp. 45-132.

Le dossier rassemble les études suivantes :
. Arnaud Bernadet, « Beckett et le théâtre de l'étranger »
. Claire Joubert, « Beckett : le théâtre dépeupleur de langues »
. Pascale Sardin, « Répétition, différence et mort dans Come and Go/ Va-et-Vient/ Kommen und Gehen »
. Maïté Snauwaert, « L'impossible étranger ou la contradiction anthropologique »
. Mireille Bousquet, « "Nothing to be seen anywhere" »
. Gérard Dessons, « Le silence de phrases non proférées »

Le second volet du dossier paraîtra dans le numéro suivant de la revue, à l'automne 2008.

03 août 2008

" Littérature-monde " - une recension

Blaise Wilfred-Portal publie, dans La Vie des idées, un compte rendu du volume Pour une littérature-monde (Michel Le Bris et Jean Rouaud, sous la direction de, NRF, 2007, 237 p.), intitulé "La littérature française dans la mondialisation". Argument :

La « littérature-monde » glorifiée par plusieurs dizaines d’auteurs de langue française récuse les émois minuscules que ressent et met en scène le microcosme parisien. Selon elle, au contraire, le roman doit être un « atlas du monde ». Mais, à certains égards, sa vision est aussi idéologique et nationale que celle qu’elle dénonce. Le manifeste pour la « littérature-monde » est-il un plaidoyer pour une littérature ouverte au vent du large ou une défense d’une néo-francophonie dirigée contre l’anglais ?

02 août 2008

" Mallarmé sociologue de la République des lettres "

Ariel Suhamy rend compte, dans La Vie des idées, de l'ouvrage de Pascal Durand, Mallarmé, du sens des formes au sens des formalités, Seuil, collection Liber, 2008, 300 p., 22€.

Amorce de l'article, "Mallarmé sociologue de la République des lettres" :

Dans la ligne tracée par Bourdieu, mais par d’autres voies, Pascal Durand offre un modèle de sociologie de la littérature en décortiquant la vie et l’œuvre du poète apparemment le plus étranger au monde social, et en réalité le plus mondain qui fût.

Peuple et poème : Zizek sur Karadzic

Dans la colonne "Point de vue" du Monde date du 1er aôut, Slavoj Zizek envoie un texte un peu énigmatique (and the exact point is?), qui vaut pour Polart en tant que proposition sur une actualité du rapport entre politique, nationalisme extrême, et poésie : il s'agit d'une prise, philosophique-poétique (un philosophe parle de poésie), sur l'analyse de la signification politique que le débat public international est en train de former autour de l'arrestation de Karadzic.

Le papier s'intitule "Karadzic et le 'complexe poético-militaire' ", et entame la question avec :

Radovan Karadzic, le dirigeant des Serbes en Bosnie responsable d'un épouvantable nettoyage ethnique durant la guerre post-yougoslave, a enfin été arrêté. Le temps est maintenant venu de prendre du recul et de considérer l'autre aspect de sa personnalité : ce psychiatre de formation était non seulement un chef politique et militaire impitoyable, mais aussi un poète.
Nous devrions nous garder de rejeter sa poésie en la qualifiant de ridicule, car une lecture attentive nous aide à comprendre le fonctionnement du nettoyage ethnique.

Les réverbérations sont audibles, d'une part avec le "complexe militaro-industriel" de l'époque Nixon, et sur une autre ligne d'écoute complètement, entre le "vous pouvez!" comme formule politique de la licence morale et sociale, ou "orgie destructrice permanente", donnée ici comme caractéristique de l'intégrisme ethnique, avec l'ambiant "Yes we can" d'Obama. Drôles de mixages.

La perspective de lecture qui m'intéresse est celle qui regarde un philosophe (mais dans le domaine anglophone, pour ne parler que de la part de l'oeuvre de Zizek, slovène, à laquelle j'aie accès donc, "philosophe" situe des discours de manière particulière - entendre ce décentrement ; il y a, précisément à ce point, des enjeux de rapports entre disciplines ou discursivités, et idéologie) prendre l'actualité politique par le poème. Pour faire simplement un pas de plus, je cite plus loin : "Une mauvaise surprise nous attend ici : ce sont les poètes qui ont formulé il y a plusieurs décennies le rêve des "nettoyeurs ethniques". Dans la Phénoménologie de l'esprit, Hegel évoque le "silencieux travail de tissage de l'esprit" : le travail souterrain de modification des coordonnées idéologiques, invisible pour l'essentiel au regard public, qui explose soudainement et prend tout le monde au dépourvu. C'est ce qui se tramait en ex-Yougoslavie dans les années 1970 et 1980." Puis en passer par "la réputation de Platon", "entachée par son affirmation selon laquelle les poètes devraient être expulsés de la cité."

Je ne fais que pointer un noeud local, sans commencer l'analyse - renvoyant les lecteurs à l'article du Monde. Dirai seulement deux directions dans lesquelles je reste rêveuse à partir de ce texte : d'abord faire valoir "la poésie" ("les poètes") comme une, monolithique, versant en un bloc d'un côté ou d'un autre des grandes polarités idéologiques et morales - un énorme coup d'hypostase (on pourrait, de même, considérer le langage, entier, comme péché). C'est donc un canular. Ensuite, ce que fait un philosophe, comme "intellectuel". Badiou a été actif aussi ces derniers temps, et a fait parler de lui. Ces coups de débat médiatique sont - dans leurs tiraillements de malentendus, distorsions, manoeuvres polémiques ordinaires, jeux de positionnements sociaux, dans leurs effets de long feu aussi -, le phénomène même du rapport actuel de savoir-pouvoir, dans son friselis quotidien, qui est le contraire du dérisoire. Son étude relève d'une ethnométhodologie (plus que d'une histoire intellectuelle par exemple), je dirais. Le quotidien d'une politique actuelle du savoir et de la parole publique.