06 août 2007

Publication : volume Chomsky aux Cahiers de l'Herne

Jean Bricmont (celui du canular Sokal et Bricmont de 1997) et Julie Franck dirigent le volume intitulé Chomsky paru récemment aux Cahiers de l'Herne (2007, 356 p.). Le Monde diplomatique d'août prend cette occasion pour publier un entretien avec Chomsky, autour de la question du "lavage de cerveaux en liberté" - idée pivot de l'activisme de Chomsky, depuis au moins Manufacturing Consent (écrit avec Edward Herman, NY, Pantheon, 2002).

La situation est intéressante pour la question de l'intellectuel, qui agite les débats - sur les rapports entre pensée critique et politique, théorie et praxis - au même rythme que celle de l'érosion du marxisme, depuis 1989 disons. Eléments en présence : la figure du scientifique universitaire d'importance majeure, la question de la linguistique spécifiquement, la figure de l'intellectuel militant - et, à mon oreille, très nettement, la formule de Sartre : l'intellectuel comme celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Le savant, le langage, la société - et la critique, comme processus social.
Il faut ajouter à cela la présence éditoriale de Bricmont, qui oriente aussi cette configuration, en la chargeant d'une valence anti-théorie et (disons pour aller vite) scientiste par mémoire du canular sur les Impostures intellectuelles. Ici on peut mettre en regard un commentaire du Diplo sur la voix des directeurs du volume : "Dès l'introduction, les deux maîtres d'oeuvre du 'Cahier', Jean Bricmont et Julie Franck, établissent un ton - sérieux, ordonné, cartésien - parfaitement en accord avec cette logique à la fois implacable et jubilatoire qui caractérise la réflexion et les écrits de l'auteur étudié".

M'intéresse donc : le mode critique particulier qui est proposé ici, et l'analyse des raisons de ma réticence immédiate, gut reaction, moue. J'essaie :

. IR (soit, je devine, Ignacio Ramonet, éditorialiste du Diplo) commente et situe : "Ignoré le plus souvent par les médias dominants français, NC a été élu, en 2005, par les lecteurs du magazine britannique Prospect comme 'le plus grand intellectuel vivant' ". Comparé à Sartre et à Voltaire. Il faut entendre tout de même le fait qu'il est considéré aux Etats-Unis, par la gauche critique, comme une voix marginale, avec une écoute plus large à l'étranger que at home. Cette question reste donc largement ouverte. Ce qui me paraît certainement intéressant est ce rapport difficile et à la France - comme point d'origine de la notion d'intellectuel même, et indissociable d'un stéréotype américain quant à l'arrogance intellectuelle/"exception culturelle" - et aux mouvements critiques nationaux. Le Diplo, avec sa transnationalité particulière, est un espace de sa défense depuis plusieurs années. Il y a certainement une dimension géopolitique au problème de l'intellectuel. Une problématique très particulière de l'étranger - on pourra remonter directement à l'Affaire Dreyfus avec cette question. La critique et la nation.

. un coeur de la question Chomsky, si on veut analyser ce cas, c'est aussi : se mêle-t-il "de ce qui ne le regarde pas"? Soit : quel est le statut du rapport entre la puissance de son oeuvre de linguiste (IR rappelle en ces termes : "une véritable révolution dans les études du langage et de la grammaire, au point que cela a bouleversé les neurosciences cognitives" - nous voilà propres), et sa légitimité à prendre la parole sous le titre d' "intellectuel" (qui le déclare tel?) , sur "les mécanismes idéologiques qui, comme une camisole de force invisible, maintiennent la population volontairement soumise à la domination d'une minorité de puissants", inaugurant "ainsi une nouvelle lignée d'études des médias qui va faire école, et qui va aussi lui valoir des attaques d'une exceptionnelle férocité." Je ne sais pas lire les sous-entendus pointés ici - my ignorance. Mais je reprends : comment la théorie du langage de Chomsky, et en particulier la ligne de fuite vers la grammaire universelle (la question de l'étranger dresse l'oreille de nouveau, comme problème du langage, ici), détermine ce programme et cette activité critiques ? Je n'ai jamais encore rencontré cette question soulevée, dans les débats autour lui que j'ai pu suivre. C'est là pourtant qu'est le noeud, surely ? Sinon le point de vue est indifférent. Ce n'est pas comme ça qu'il est écouté, en tout cas.

Réponse automatique : il faut simplement aller voir, d'accord. Mais pour l'instant voilà les questions avec lesquelles je pourrais ouvrir cette lecture. Grammaire universelle, idéologie de la communication, mondialisation, donc : coordonnées d'un problème Chomsky. Théorie du langage et action critique.

. une autre direction ou la même - question des façons de penser le rapport social, où intervient ce qu'on fait du discours : IR cite en encadré un fragment de la discussion entre Chomsky et Foucault, publiée dans le volume de L'Herne, et initialement tenue en 1971 : "Justice contre pouvoir". Où deux visions du politique se frottent, en éclairant par leur contraste l'une (au moins) des pierres de touche de la critique, où se fait le départ entre l'absolu et l'historicité.

Titres de Chomsky intellectuel, rappelés par le Diplo, dans leur traduction en français : 1998 Responsabilité des intellectuels (Agone - commentaire : "Chomsky fustige la sélectivité des 'engagements' des intellectuels occidentaux"), 2003 La Fabrique de l'opinion publique : la politique économique des médias américains (Le Serpent à plume, 2003), 2006 Comprendre le pouvoir (Bruxelles - "la plupart des préjugés médiatiques ont pour cause la présélection d'un personnel bien-pensant qui intériorise des idées préconçues et s'adapte aux contraintes exercées par les propriétaires, le marché et le pouvoir politique", 2007 L'An 501, la conquête continue (L'Herne - "Les stratégies de domination mises en oeuvre depuis la conquête du Nouveau Monde").

1 commentaire:

CJ a dit…

J'ajoute qu'un volume a également été publié, dans la collection des Carnets de l'Herne en 2006, rassemblant les deux textes, Foucault et Chomsky : De la nature humaine. Justice contre pouvoir. Présenté par Fons Elders , traduit par Anne Rabinovitch.