07 novembre 2009

Culture et matérialisme - Raymond Williams


Je vous signale la traduction française (par Etienne Dobenesque et Nicolas Calvé), aux éditions des Prairies ordinaires, de 7 articles de Raymond Williams écrits entre 1960 et 1988. C'est la première fois qu'il est traduit en français.

Présentation de l'éditeur

L'introduction récente, en France, des Cultural Studies, semble s'être faite au prix de l'oubli de leur hétérogénéité : cette étiquette englobante recouvre en effet des postures intellectuelles, des contenus théoriques et des rapports au politique fort différents. En ce sens, la première traduction française de Raymond Williams se voudrait une introduction à un versant bien spécifique de cette pensée critique. Si ce dernier est souvent présenté, à juste titre, comme l'un des fondateurs des Cultural Studies, il faut immédiatement préciser qu'il envisage ces dernières comme devant donner lieu à une théorie matérialiste de la culture. La pensée de Williams doit en outre être saisie comme un effort permanent pour articuler travail théorique - en inscrivant son œuvre dans un dialogue avec la tradition marxiste - et projets d'émancipation. Si ce recueil ne peut constituer qu'une brève introduction à l'oeuvre prolifique de Williams, elle dessine néanmoins les multiples directions et objets de son travail. De son analyse des mouvements d'avant-garde à la réélaboration des notions centrales de la pensée marxiste - qu'il s'agisse du couple base / superstructure ou de la nécessité de penser les " moyens de communication comme moyens de production " - en passant par la considération de l'imaginaire produit par la ville capitaliste, ce recueil entend donner à lire une œuvre tout à la fois plurielle - par ses objets, ses préoccupations - et dotée d'une forte unité théorique et politique - le matérialisme d'une pensée toujours articulée à la nécessité d'élaborer de nouvelles pratiques politiques. Les Cultural Studios n'ont cessé d'étudier la culture, pour Williams il s'agit également de la transformer.


J'ajoute l'article du Monde des Livres de ce vendredi.

http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/11/05/culture-materialisme-de-raymond-williams_1263006_3260.html

"Culture & Matérialisme", de Raymond Williams : la culture comme jeu de forces
LE MONDE DES LIVRES | 05.11.09 | 11h11 • Mis à jour le 05.11.09 | 11h11

e livre numérique et la musique techno, les blogs et la télé-réalité, le déclin de la presse écrite et la violence au cinéma, la fortune de la pornographie et les nouveaux modes de financement privés de la télévision, les consoles de jeux vidéo et le dernier best-seller de Dan Brown : ces faits culturels contemporains entraînent toujours avec eux leur lot de déplorations partagées par les conservateurs comme par les progressistes.

Les premiers voient la culture comme une hiérarchie d'oeuvres plus ou moins novatrices ou universelles, et en appellent au bon goût contre les ravages de l'indistinction actuelle. Les seconds considèrent que les contenus culturels sont au contraire déterminés de l'extérieur par la quête de profit économique ou par le point de vue d'un groupe social spécifique - la bourgeoisie - imposant ses valeurs à toute la population pour la divertir de ses maux ; aussi craignent-ils l'abrutissement des masses et la perte du sens critique. Mais les uns comme les autres se retrouvent derrière un même pessimisme face au développement des nouvelles technologies de communication et des industries culturelles.

Pour saisir la signification et la dynamique de la culture contemporaine, il faut sans doute se débarrasser de ces représentations symétriques. Sans pour autant céder à un optimisme béat face à toute innovation ni à un relativisme qui met tous les produits de l'esprit sur un même plan. Il s'agit donc de fonder à la fois une nouvelle théorie de la culture et un regard critique original. Telle fut l'ambition de l'écrivain et universitaire anglais Raymond Williams (1921-1988).

Nouveau domaine de savoir

Etudiant puis professeur de littérature et d'études théâtrales à Cambridge, auteur de nouvelles, de romans, de pièces et de plus de trente ouvrages théoriques, il fut à l'origine, outre-Manche, du développement des Cultural Studies ("études culturelles"). Depuis le début des années 1960, ce champ d'études pluridisciplinaire s'intéresse à la fonction politique de la culture et aux traductions idéologiques des relations de pouvoir. Il représente aujourd'hui un nouveau domaine du savoir connaissant une expansion mondiale, et qui a permis d'étendre le spectre des oeuvres susceptibles de faire l'objet d'une recherche savante. Désormais, il ne paraît pas incongru de consacrer une thèse à la musique punk ou aux réseaux sociaux d'Internet.

Si Williams a contribué à ouvrir les études littéraires aux cultures médiatiques et populaires, c'est en développant une théorie de la culture comme jeu de forces antagoniques. La culture d'une société n'est pas, selon lui, un tout homogène. Ses divisions internes ne sont pas déterminées par les différences de qualité entre oeuvres classiques et oeuvres marginales, mais par l'organisation des pratiques de création et de communication. A chaque époque, en effet, des conventions esthétiques et des forces institutionnelles variables s'imposent aux créateurs comme aux publics. Williams définit ainsi la "culture dominante" non pas comme une idéologie qui s'imposerait de l'extérieur aux individus, mais comme "la substance et la limite" de leur sens commun : dans notre société, cette perception naturelle du monde est véhiculée par la publicité. Face à ce bloc, il y a des "cultures résiduelles", par exemple la culture ouvrière, et des "cultures émergentes", comme celle des nouveaux médias. Minoritaires, ces pratiques peuvent rejoindre la culture commerciale ou former des espaces "oppositionnels" ou "alternatifs" : les uns contestent les institutions de la culture dominante ; les autres survivent à leurs côtés.

"Dissidents bourgeois"

Intellectuel public de premier rang en Angleterre et auteur internationalement reconnu dans les sciences humaines, Williams n'avait jamais été traduit en français. Rassemblant sept articles écrits entre 1960 et 1988, le recueil qui paraît aujourd'hui offre une bonne introduction à son cadre d'analyse. Ces essais n'ont rien perdu de leur pertinence, tant s'y manifeste la capacité visionnaire de Williams, en particulier sur les technologies de communication.

Malgré une argumentation un peu éclatée, deux aspects retiennent l'attention : l'analyse du poids croissant de la culture commerciale et la réflexion critique sur l'héritage des avant-gardes artistiques et littéraires modernes. L'auteur montre comment la publicité, d'activité marginale et peu respectable dans l'Angleterre de 1850, est devenue "l'art officiel de la société capitaliste moderne" et une source de "valeurs sociales et personnelles". Non seulement les créateurs et les médias sont de plus en plus dépendants de la publicité, mais la culture commerciale a pénétré la culture d'élite.

En retraçant l'histoire des groupes d'avant-garde depuis la fin du XIXe siècle, Raymond Williams montre en effet, outre leurs ambivalences politiques (voir le futurisme italien), leurs contradictions vis-à-vis de la culture marchande. "Dissidents bourgeois", les jeunes innovateurs du modernisme ont souvent défendu, contre leurs familles, les mêmes valeurs individualistes que celles de la publicité. De plus, le "répertoire de l'art moderne", où domine l'image d'un sujet déraciné, a été absorbé par la culture dominante. "Certaines techniques auparavant expérimentales (...) sont devenues les conventions professionnelles d'un art commercial largement diffusé", note-t-il. Aussi, loin d'être opposées, comme le pensent les pessimistes culturels de droite comme de gauche, la culture d'élite moderne et la culture de masse ont aujourd'hui des contenus semblables. Pour expliquer ces convergences, et de manière originale par rapport à ce qu'a produit la sociologie française en ces domaines (notamment Bourdieu), Williams insiste sur la concentration de la vie culturelle dans les grandes métropoles modernes.

La récupération de l'art novateur par le spectacle publicitaire et ses dépendances est-elle aujourd'hui totale ? Non. Williams cherche les cultures alternatives et oppositionnelles de demain dans les pratiques populaires émergentes "qui n'ont pas le marché pour origine" et dans des réseaux de communication autogérés : ainsi de certains usages d'Internet et des télévisions locales. La domination culturelle n'est jamais absolue, la déploration et la nostalgie se révèlent mauvaises conseillères. Le jeu de forces de la culture contemporaine restera encore longtemps ouvert.


CULTURE & MATÉRIALISME de Raymond Williams. Traduit de l'anglais par Nicolas Calvé et Etienne Dobenesque. Les Prairies ordinaires, "Penser/croiser", 246 p., 15 €.

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