Merci à Claire de ce petit extrait. Ce nouveau fret documentaire est, en effet, des plus instructifs. Avec sa charge multiforme de présupposés.
Il confirme la paradoxale étatisation et le contrôle resserré de la recherche et de l'invention du savoir (qui devient aussitôt production et compétition). L'énonciation même de l'article "Décision fondamentale 2" explicite les thèses néolibérales qui doivent désormais guider le fonctionnement des universités. L'université française comme instrument et même moteur du capitalisme mondialisé.
a/"l' économie du savoir" : voilà un syntagme qui appartient très directement à la phraséologie eurocratique. Nous recevons régulièrement dans les établissements des documents émanant de rapports de représentants via les projets européens concernant l'université française qui comportent cette expression ; son intérêt tient évidemment à ce qu'il dit sans dire, l'économisme et la logique du marché. Procédé rhétorique, celui de la syllepse : économie comme mode organisationnel et système, économie comme échange des biens matériels dans une société : l'ensemble des faits relatifs à la consommation, à la production et à la circulation de ces biens.
PS. Je ne peux pas m'empêcher de rappeler que l'assimilation implicite entre savoir et biens matériels est préparée de longue date par un certain nombre de penseurs et/ou idéologues contemporains. Entre autres exemples, le messianisme libéral de Michel Serres, par exemple. Dieu de la communication, Hermès est aussi la divinité de l'échange et de l'argent. Voir à ce sujet mon étude "Hermès ou le mythe de l'essence française" (site Polart, rubrique : "Textes").
b/ "la prise de risque" : un condensé de l'éthique libérale, tournée vers l'action, l'aventure, l'entreprise, la "création", qui devrait contraster - évidemment - avec la frilosité, la peur, le conformisme et le traditionnalisme comportemental, mental, social et économique des français. Dont la gauche serait le réservoir dogmatique et idéologique actuellement. Il est curieux de voir combien ces deux expressions combinées donnent à l'ouverture de ce Rapport l'allure du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert.
Scholie 1 : lors d'un chat récent, réalisé dans le journal "Libération", Jacques Attali répondait à un jeune doctorant issu du CNRS qui contestait la pertinence des contrats de 4 ans renouvelables proposés par le Rapport pour redynamiser la recherche en France. Le doctorant y voyait une précarisation supplémentaire du statut des chercheurs, et envisageait pour cette raison de partir aux USA. Et à l'évidence, cette proposition accélérera la "fuite des cerveaux". Réponse : fausse route, ces contrats sont renouvelables et peuvent aller jusqu'à 12 ans (3 x 4 ans) ... Et ils sont nécessaires pour que chaque chercheur apprenne à se remettre en cause.
Scholie 2 : Evidemment, il est hors de propos d'envisager ce qui peut se passer au-delà de ces 12 années. Il est cependant intéressant de voir que le pouvoir envisage ainsi sous la forme d'un Rapport une législation directe et externe de ce qui caractérise l'éthique même du chercheur : "se remettre en cause". Son activité critique même. C'est la menace la plus pesante. D'où la nécessité à nouveau du chantier "Débat et démocratie".
Scholie 3 : On dira qu'incontestablement une telle position participe de la part de la Commission d'une très grave méconnaissance sinon même d'une négation du métier de chercheur. Et de son activité. Soit. Il reste que le diagnostic d'une sclérose institutionnelle se vérifie dans l'université de jour en jour. Elle ne saurait se régler politiquement, il y faut justement une réinvention des champs, des disciplines, une refondation des épistémologies, etc. Mais la sphère politique profite aussi de l'académisme règnant du système universitaire.
Ce phénomène semble particulièrement sensible dans l'espace des sciences humaines, lettres et langues. Au point que, si je regarde ma discipline, la littérature française, on en vient à défendre contre les agressions du législateur les vieilles "humanités", et dans des termes et des catégories absolument impensables il y a une trentaine / quarantaine d'années. Antoine Compagnon en est l'emblème. Apre défenseur du savoir classique, de la littérature toujours destinée à une fonction morale, civique et éducative, et bien entendu... premier (r)allié du pouvoir en place dans nos institutions républicaines. (A ce sujet, voir mon étude à paraître "De la critique au consensus : l'effet Antoine Compagnon" in S. Martin & J. Roger, La Critique, pour quoi faire ?, Le Français d'aujourd'hui, 160, Paris, Armand Colin, 2008). Cette apologie réactive et défensive des "humanités" est non seulement une illusion historique mais surtout un piège idéologique.
Scholie 4 : L'académisme a des effets plus pervers et retors. On s'interroge peu sur les raisons d'être de la sclérose institutionnelle. Derrière le réflexe corporatiste, silence absolu sur les modalités de recrutement qui, dans les dernières années, ont amplement contribué à ce marasme intellectuel, réseaux, localisme et népotisme en tête refoulant aux marges les chercheurs de qualité et les novateurs. La génération qui a aujourd'hui entre 30 et 35 ans est à ce titre largement sacrifiée. J'en témoigne à l'échelle de ma propre université, qui en est une illustration presque caricaturale. S'il est vrai que les nouveaux critères prévus par la LRU laissent la porte grande ouverte au clientélisme, celui-ci trouvera en vérité un terrau déjà favorable. De fait, les principales instances, Conseil d'Administration, directions d'UFR, Présidence, ne sont pas hostiles à la loi Pécresse. Le syndicat majoritaire dans cet établissement appelait récemment à une forme de défiance vis-à-vis des textes ministériels, s'offrait même à défendre les intérêts de la corporation tout en promettant d'"éclairer" le mieux possible les décisions du Président aux seules fins d'éviter toute espèce de dérive arbitraire. Il ne remettait donc nullement en cause les orientations du Ministère. Après l'éloge du despote éclairé, on ne peut pas faire plus Ancien Régime. Il est vrai que ce sont les mêmes responsables qui agissent au sein des défuntes Commissions de Spécialistes, à la tête des UFR, au sein des trois Conseils, et qui comptent pourtant parmi les éléments les plus faibles et les plus médiocres en matière de recherche. La recherche, ils la gèrent idéologiquement. Et cette idéologie est le substitut même d'une éthique de la connaissance.
Il confirme la paradoxale étatisation et le contrôle resserré de la recherche et de l'invention du savoir (qui devient aussitôt production et compétition). L'énonciation même de l'article "Décision fondamentale 2" explicite les thèses néolibérales qui doivent désormais guider le fonctionnement des universités. L'université française comme instrument et même moteur du capitalisme mondialisé.
a/"l' économie du savoir" : voilà un syntagme qui appartient très directement à la phraséologie eurocratique. Nous recevons régulièrement dans les établissements des documents émanant de rapports de représentants via les projets européens concernant l'université française qui comportent cette expression ; son intérêt tient évidemment à ce qu'il dit sans dire, l'économisme et la logique du marché. Procédé rhétorique, celui de la syllepse : économie comme mode organisationnel et système, économie comme échange des biens matériels dans une société : l'ensemble des faits relatifs à la consommation, à la production et à la circulation de ces biens.
PS. Je ne peux pas m'empêcher de rappeler que l'assimilation implicite entre savoir et biens matériels est préparée de longue date par un certain nombre de penseurs et/ou idéologues contemporains. Entre autres exemples, le messianisme libéral de Michel Serres, par exemple. Dieu de la communication, Hermès est aussi la divinité de l'échange et de l'argent. Voir à ce sujet mon étude "Hermès ou le mythe de l'essence française" (site Polart, rubrique : "Textes").
b/ "la prise de risque" : un condensé de l'éthique libérale, tournée vers l'action, l'aventure, l'entreprise, la "création", qui devrait contraster - évidemment - avec la frilosité, la peur, le conformisme et le traditionnalisme comportemental, mental, social et économique des français. Dont la gauche serait le réservoir dogmatique et idéologique actuellement. Il est curieux de voir combien ces deux expressions combinées donnent à l'ouverture de ce Rapport l'allure du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert.
Scholie 1 : lors d'un chat récent, réalisé dans le journal "Libération", Jacques Attali répondait à un jeune doctorant issu du CNRS qui contestait la pertinence des contrats de 4 ans renouvelables proposés par le Rapport pour redynamiser la recherche en France. Le doctorant y voyait une précarisation supplémentaire du statut des chercheurs, et envisageait pour cette raison de partir aux USA. Et à l'évidence, cette proposition accélérera la "fuite des cerveaux". Réponse : fausse route, ces contrats sont renouvelables et peuvent aller jusqu'à 12 ans (3 x 4 ans) ... Et ils sont nécessaires pour que chaque chercheur apprenne à se remettre en cause.
Scholie 2 : Evidemment, il est hors de propos d'envisager ce qui peut se passer au-delà de ces 12 années. Il est cependant intéressant de voir que le pouvoir envisage ainsi sous la forme d'un Rapport une législation directe et externe de ce qui caractérise l'éthique même du chercheur : "se remettre en cause". Son activité critique même. C'est la menace la plus pesante. D'où la nécessité à nouveau du chantier "Débat et démocratie".
Scholie 3 : On dira qu'incontestablement une telle position participe de la part de la Commission d'une très grave méconnaissance sinon même d'une négation du métier de chercheur. Et de son activité. Soit. Il reste que le diagnostic d'une sclérose institutionnelle se vérifie dans l'université de jour en jour. Elle ne saurait se régler politiquement, il y faut justement une réinvention des champs, des disciplines, une refondation des épistémologies, etc. Mais la sphère politique profite aussi de l'académisme règnant du système universitaire.
Ce phénomène semble particulièrement sensible dans l'espace des sciences humaines, lettres et langues. Au point que, si je regarde ma discipline, la littérature française, on en vient à défendre contre les agressions du législateur les vieilles "humanités", et dans des termes et des catégories absolument impensables il y a une trentaine / quarantaine d'années. Antoine Compagnon en est l'emblème. Apre défenseur du savoir classique, de la littérature toujours destinée à une fonction morale, civique et éducative, et bien entendu... premier (r)allié du pouvoir en place dans nos institutions républicaines. (A ce sujet, voir mon étude à paraître "De la critique au consensus : l'effet Antoine Compagnon" in S. Martin & J. Roger, La Critique, pour quoi faire ?, Le Français d'aujourd'hui, 160, Paris, Armand Colin, 2008). Cette apologie réactive et défensive des "humanités" est non seulement une illusion historique mais surtout un piège idéologique.
Scholie 4 : L'académisme a des effets plus pervers et retors. On s'interroge peu sur les raisons d'être de la sclérose institutionnelle. Derrière le réflexe corporatiste, silence absolu sur les modalités de recrutement qui, dans les dernières années, ont amplement contribué à ce marasme intellectuel, réseaux, localisme et népotisme en tête refoulant aux marges les chercheurs de qualité et les novateurs. La génération qui a aujourd'hui entre 30 et 35 ans est à ce titre largement sacrifiée. J'en témoigne à l'échelle de ma propre université, qui en est une illustration presque caricaturale. S'il est vrai que les nouveaux critères prévus par la LRU laissent la porte grande ouverte au clientélisme, celui-ci trouvera en vérité un terrau déjà favorable. De fait, les principales instances, Conseil d'Administration, directions d'UFR, Présidence, ne sont pas hostiles à la loi Pécresse. Le syndicat majoritaire dans cet établissement appelait récemment à une forme de défiance vis-à-vis des textes ministériels, s'offrait même à défendre les intérêts de la corporation tout en promettant d'"éclairer" le mieux possible les décisions du Président aux seules fins d'éviter toute espèce de dérive arbitraire. Il ne remettait donc nullement en cause les orientations du Ministère. Après l'éloge du despote éclairé, on ne peut pas faire plus Ancien Régime. Il est vrai que ce sont les mêmes responsables qui agissent au sein des défuntes Commissions de Spécialistes, à la tête des UFR, au sein des trois Conseils, et qui comptent pourtant parmi les éléments les plus faibles et les plus médiocres en matière de recherche. La recherche, ils la gèrent idéologiquement. Et cette idéologie est le substitut même d'une éthique de la connaissance.
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