02 août 2008

Peuple et poème : Zizek sur Karadzic

Dans la colonne "Point de vue" du Monde date du 1er aôut, Slavoj Zizek envoie un texte un peu énigmatique (and the exact point is?), qui vaut pour Polart en tant que proposition sur une actualité du rapport entre politique, nationalisme extrême, et poésie : il s'agit d'une prise, philosophique-poétique (un philosophe parle de poésie), sur l'analyse de la signification politique que le débat public international est en train de former autour de l'arrestation de Karadzic.

Le papier s'intitule "Karadzic et le 'complexe poético-militaire' ", et entame la question avec :

Radovan Karadzic, le dirigeant des Serbes en Bosnie responsable d'un épouvantable nettoyage ethnique durant la guerre post-yougoslave, a enfin été arrêté. Le temps est maintenant venu de prendre du recul et de considérer l'autre aspect de sa personnalité : ce psychiatre de formation était non seulement un chef politique et militaire impitoyable, mais aussi un poète.
Nous devrions nous garder de rejeter sa poésie en la qualifiant de ridicule, car une lecture attentive nous aide à comprendre le fonctionnement du nettoyage ethnique.

Les réverbérations sont audibles, d'une part avec le "complexe militaro-industriel" de l'époque Nixon, et sur une autre ligne d'écoute complètement, entre le "vous pouvez!" comme formule politique de la licence morale et sociale, ou "orgie destructrice permanente", donnée ici comme caractéristique de l'intégrisme ethnique, avec l'ambiant "Yes we can" d'Obama. Drôles de mixages.

La perspective de lecture qui m'intéresse est celle qui regarde un philosophe (mais dans le domaine anglophone, pour ne parler que de la part de l'oeuvre de Zizek, slovène, à laquelle j'aie accès donc, "philosophe" situe des discours de manière particulière - entendre ce décentrement ; il y a, précisément à ce point, des enjeux de rapports entre disciplines ou discursivités, et idéologie) prendre l'actualité politique par le poème. Pour faire simplement un pas de plus, je cite plus loin : "Une mauvaise surprise nous attend ici : ce sont les poètes qui ont formulé il y a plusieurs décennies le rêve des "nettoyeurs ethniques". Dans la Phénoménologie de l'esprit, Hegel évoque le "silencieux travail de tissage de l'esprit" : le travail souterrain de modification des coordonnées idéologiques, invisible pour l'essentiel au regard public, qui explose soudainement et prend tout le monde au dépourvu. C'est ce qui se tramait en ex-Yougoslavie dans les années 1970 et 1980." Puis en passer par "la réputation de Platon", "entachée par son affirmation selon laquelle les poètes devraient être expulsés de la cité."

Je ne fais que pointer un noeud local, sans commencer l'analyse - renvoyant les lecteurs à l'article du Monde. Dirai seulement deux directions dans lesquelles je reste rêveuse à partir de ce texte : d'abord faire valoir "la poésie" ("les poètes") comme une, monolithique, versant en un bloc d'un côté ou d'un autre des grandes polarités idéologiques et morales - un énorme coup d'hypostase (on pourrait, de même, considérer le langage, entier, comme péché). C'est donc un canular. Ensuite, ce que fait un philosophe, comme "intellectuel". Badiou a été actif aussi ces derniers temps, et a fait parler de lui. Ces coups de débat médiatique sont - dans leurs tiraillements de malentendus, distorsions, manoeuvres polémiques ordinaires, jeux de positionnements sociaux, dans leurs effets de long feu aussi -, le phénomène même du rapport actuel de savoir-pouvoir, dans son friselis quotidien, qui est le contraire du dérisoire. Son étude relève d'une ethnométhodologie (plus que d'une histoire intellectuelle par exemple), je dirais. Le quotidien d'une politique actuelle du savoir et de la parole publique.

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