02 juin 2008

sonnet contemporain

Je signale la parution de :
A. Chevrier, D. Moncond'hui (sous la dir. de), Le Sonnet contemporain, retours au sonnet, Formules, 2008.
Editorial et sommaire complet :http://www.formules.net/revue/12/index.htm.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Le rapport poétique le plus profond ne relève pas de l'ordre du descriptif ni même de l'analogie littéraire, - ni de l'imitation formelle j'y reviendrai.
Par exemple : la leçon première de grands poèmes didactiques - "De natura rerum" de Lucrèce, "la Déclamation théâtrale" de Dorat, "la Gloire du Val de Grâce" de Molière... - est donnée par le poieîn, le métier, la façon, la technique - l'art intrinsèque - en l'occurrence dernière celui de Molière, au moins autant sinon davantage, que par la description verbale du sujet traité (ici la peinture de Mignard).

Molière nous instruit de Mignard - le poète nous instruit du peintre - d'abord par son métier, son geste. Sa manière et sa facture sont riches en elles-mêmes de matière ; la transformation de sa langue natale en poème est elle-même avancée sur les chemins de l'art, un art que le prétexte d'une peinture l'oblige à mettre en oeuvre. Je mets ma langue en poème, comprenez aussi bien : Mignard met ses couleurs en forme.

Autrement dit : la leçon donnée par l'art comprend le fond du discours, la manière de dire la chose approche la chose même.

La pédopsychiatrie montre que donner à un enfant l'injonction "ne mets pas tes coudes sur la table" n'a pas l'efficacité du modèle visuel et kinésique que le parent ou le tuteur donne par sa propre conduite, - c'est-à-dire celle qui donne à voir, et à voir faire.

Brève citation pour conclure ces généralités concernant le poieîn : Le fameux "Vous voulez dire qu'il pleut ; dites : il pleut" s'attirait de Valéry cette réponse : " Il ne s'agit pas de dire qu'il pleut. Il s'agit de faire la pluie." (Cela vaudrait quelque développement... Une autre fois peut-être.)

Cette introduction un peu longue n'est pas trop nouvelle : mais elle me permet d'en venir moins abruptement à mon fait.

Pour rendre la transparence d'un cristal, les reflets d'un marbre, les moires d'une soierie de Chine, les "mille et une lumières" d'un simple panier d'oeufs..., le peintre Gualtieri (www.gualtierimuseum.com) doit appliquer sur la toile 60 ou 80 films de transparences successives... Plus que Titien pour ses portraits, plus même que les Van Eyck n'apposaient de ces glacis dont l'art demeura quelque temps secret. Des tableaux comme Symphonie en verres (1974) ou Lacrime di cristallo (1983) - surprennent par l'équilibre de qualité entre manière et matière. La qualité de cette peinture en est le message premier.

L'énergie n'est pas moins présente, chez Gualtieri passant quatre mois sur une toile de taille modeste - format "sonnet" -, que chez Rouault capable de peindre La Sainte Face en deux nuits. La concentration requise pour traduire les nuances de ce "monde différent, ensoleillé à [sa] manière", mériterait bien une fois la toile achevée quelque temps de repos... (Cet artiste âgé de 88 ans peint 8 heures par jour.)

Racine faisait cinq vers par jour ; Malherbe beaucoup moins - qui, lorsqu'il mettait en chantier un sonnet, donnait l'impression qu'il partait affronter des dangers angoissants, d'increvables chimères, voire d'y risquer sa vie autant qu'un Mallarmé.

Ce n'est sûrement pas le temps passé à les faire qui prouve la qualité des oeuvres. Mais souvent, tout au contraire, ce sont les qualités des oeuvres qui prouvent ce qu'elles ont coûté de temps. Cela explique - aujourd'hui encore - le "Vingt fois sur le métier..." de Boileau... Souvenons-nous que Malherbe, généreux au terme de son exigence, accordait au poète ayant réussi à achever un "bon" sonnet dix années de repos. Etrange degré de conscience de ce qu'est, ou peut être, un poème, à commencer par certaine idée de la difficulté de l'entreprise poétique, lorsqu'elle se défie du tout-venant. Le vers atteint sa forme à force de glacis.

Entrons maintenant au coeur du sujet, ou plutôt à une interprétation possible de la question soulevée par le "retour" au sonnet, à la rigueur formelle. Ne craignons pas de soumettre cette question rayonnement un peu dur des techniques contemporaines.

Tout récemment encore M. Guillaume Peureux (Maître de conférences Univ Rennes II), écrit dans Analyser le vers (Gallimard/Education - avril 2008) que "la poésie mesurée ou syllabique perdure de nos jours". Il donne à l'appui de cette assertion nombre d'exemples et sans doute n'a-t-il pas tort.

Mais ce n'est pas seulement syllabique : c'est phonétique, microphonétique, synesthésique, que cette poésie parfois s'efforce de rajeunir ses anciens modèles, pour rendre compte plus concrètement de sa puissance expressive.

Lorsque je dis synesthésique, je ne pense pas aux antécédents - ni de Baudelaire ni de Rimbaud -, qui en ont parlé extérieurement, de façon descriptive, sans que la matière de leur oeuvre même rimée soit véritablement affectée du propos qu'ils tenaient. (Trop souvent le programme est pris pour la réalisation...) Mais chez les modernes français je songe d'abord à Messiaen, qui durant toute sa vie a évoqué et prouvé ce phénomène comme sous-tendant ses compositions musicales, - tout en déplorant que cette déviation sensorielle affecte si peu de gens.

Il ne s'agit plus d'analogies littéraires. Mais de phénomènes rendus vérifiables par les stimulations modernes des neurosciences (stimulations visuelles, auditives, olfactives)... Vérifications de connexions neuronales chez le "synesthète" entre des aires cérébrales que les cerveaux "normaux" maintiennent cloisonnées.

Concernant la psychologie de la perception, je suis persuadé que les maîtres du "Grand Siècle" poétique français ont pressenti les ressources d'expressivité offertes par l'exploitation intuitive de ces phénomènes.



"Comme si, s'élevant de plus belle en plus belle,
"Le sort par ces degrés tâchait d'approcher d'elle (...)"

composition cornélienne (Andromède) magistrale des "é, â" et des "è, a" plus clairs, appuis consonantiques durs des "r" et des occlusives, puis résorbés dans les chuintantes, faisant ce vers de... roche friable. Rions d'une subjectivité probable ! Mais relisons, et écoutons...

"Chantons mes soeurs, chantons ; et que puissent nos chants
"Du coeur d'Assuérus adoucir la rudesse (...)"

les voyelles u, i, oeu, leur mouvement tournant dans les sifflantes et les dentales font du distique un serpent qui se tord au soleil... et change de couleur. Etc.

La leçon, ponctuelle (pour commencer), peut s'élargir aux proportions de l'insondable. Musique des transparences, dit-on de Gualtieri ; Liturgie de cristal, d'un quatuor de Messiaen... Vingt fois sur le métier ; le vers, la forme atteinte à force de glacis...

Dans le site "Théâtre d'art project" les pages 'Couleur Gualtieri' et 'Au sujet d'Adonis' (réaction à la prédiction de Vitez concernant un "retour de l'alexandrin") précisent mon propos. Les pages 'Poésie : les Dessous du langage' (Revue des Etudes byroniennes, Volume IV, II - mars 2008) exposent largement le projet artistique. 'Vers un théâtre d'art' (Cahiers Paul Valéry 10 - Lettres modernes Minard, octobre 2003) est un exemple d'application précise.

Une "raison" de l’art, ou son utilité, ne tient-elle pas à quelque volonté d’élargissement et d’exploration de l’univers des sensations humaines. A travers les difficultés de cette humaine condition, la poésie propose une tentative de communion. Le théâtre d'art la sort des livres, lui donne sa dimension... 3D.(*)

La part et la place du sonnet dans ces "résurgences, éclipses" dont parle Dominique Moncond'hui ?
Ne s'occupant de poésie que destinée au théâtre, il arrive malgré tout - rarement, pour changer de prison - que l'on tente l'écriture de sonnets en rapport de composition avec la synesthésie évoquée plus haut, - ce que la médecine appelle "l'audition colorée". L'on s'efforce toujours d'enchérir sur les contraintes de la forme classique : recherche syntaxique, rime permanente et interne, pressions et détentes vocaliques etc.
Il ne s'agit ni de reproduire les formes du passé ni de se contenter de répéter les formes du présent...

Un exemple :
(travail sur les semi-voyelles et les diphtongues. Rimes terminales masculines féminines inversées des quatrains aux tercets - cf. le sonnet en "yx" de Mallarmé)

"Pas un mot, pas un vent… Rien, mon Saule, n’effeuille
"Un si frêle miroir où déjà le jour meurt…
"Mais entière et parfaite est la paix qui m’accueille,
"Et mes pas semblent faits pour ces lieux sans rumeur.

"Te voici, mon bel Arbre, et si doux je les veuille,
"T’approcher de ces pas ne m’en fait pas moins peur :
"Moire offerte à mes yeux par un ciel couleur feuille,
"Trop d’espoir, trop d’amour peuple et hante mon cœur.

"Qui ne sait, beau Miroir, que la vie est un leurre ?
"Que la mort est légère à qui veut que tout meure ?
"Les bois purs de tes bras sont d’un tendre cercueil…

"Tu m’as dit bien souvent que tout vient à son heure ;
"Mais du mal - mais du bien, je ne sais - que j’effleure
"Pas un mot, pas un seul, qui défende le seuil."

De la composition musicale, Messiaen non dénué d'humour dit souvent à ses élèves que "c'[était] plus dur que de faire du concentré de viande"... Mais que dire alors de la composition poétique ! Le bruit de la langue s'efforce d'y participer au sens ; l'articulation sonore, d'étayer la pensée.

LL

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(*) Les chemins sont abrupts, des dessous du langage :

"Les pentes, les degrés que leur soleil descend
"Sont d’une terre au goût comme aux couleurs du sang…
"Nul n’y saurait, longtemps, marcher sans défaillance…
"Nul y chanter plus haut, plus fort que la souffrance.

"Personne, - même Orphée aux lumineux accents,
"En mélanger la fange avec le moindre encens…

(Orpheus)




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(Orpheus) ["... together Pozzi and Valéry worked out in their lives and in their writings an alternative understanding of the Orpheus myth..."

A : Pr Lawrence Joseph, Pozzi-Valéry "correspondance" - Gallimard 2007 :

"... ton amour a beau lui, mettre un feu dans ce froid,
"Beau m'aider, m'inciter à marcher en poète...
"Plus la nuit s'épaissit moins sa voix se fait nette ;
"Plus il lui faut passer par un chemin étroit.

"Et vouloir, demander qu'on lui garde sa foi,
"C'est vouloir la lumière
une fois la nuit faite (...)"