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« Les vrais écrivains d'aujourd'hui se comptent sur les doigts d'une main »
Propos recueillis par PAUL-FRANÇOIS PAOLI.
Publié le 08 février 2007
De nombreux essais s'interrogent sur l'état du roman et son avenir. Éditeurs et écrivains, Richard Millet et Jean-Marc Roberts contestent leur analyse.
LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Après la vogue du structuralisme et du nouveau roman, l'autofiction est-elle en train d'achever la littérature française ? Certains demandent un retour à une littérature « engagée » dans la société...
Richard MILLET. - Aucun mouvement n'est responsable de l'appauvrissement de la littérature. Il y a des chefs-d'oeuvre dans la littérature nihiliste, formaliste et même nombriliste. L'autofiction n'est pas ma tasse de thé, mais la volonté de Christine Angot de tout dire d'un événement insignifiant est fascinante... D'ailleurs La Recherche du temps perdu de Proust et Voyage au bout de la nuit de Céline sont, à leur manière, de gigantesques autofictions. Ce qui fait un écrivain, c'est l'invention d'une langue, d'un rythme singulier. C'est sa puissance. Sa sensibilité politique, ni le genre littéraire à travers lequel il s'exprime ne font rien à l'affaire. À mon sens Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam sont bien supérieurs à Zola ou au Hugo engagé.
Jean-Marc ROBERTS. - Cela fait trente- quatre ans que je suis dans le métier et que l'on m'annonce que le roman français est mort. C'est l'un de ces « marronniers » dont sont friands les journalistes. Coupable, l'autofiction. Le mot ne veut pas dire grand-chose. Il est vrai qu'il est plus facile d'écrire un roman « intimiste » que d'inventer la vie des autres. Mais le talent et le génie n'ont ni genre ni sexe. La littérature existe ou n'existe pas, c'est affaire de son, de langue, au fond de musique. Chez Stock, où nous avons édité des auteurs aussi différents que Philippe Claudel, Nina Bouraoui ou Christine Angot, l'autofiction n'est pas un principe. Quant à la thèse de François Bégaudeau, qui exhorte les écrivains à s'engager, elle sent son lycéen attardé. Un lycéen qui s'exprime mal, dit tout et son contraire. Les mauvais livres sont ceux qui justement ont une intention. Un bon roman n'apporte aucune réponse, il ne fait qu'ajouter de nouvelles questions.
R. M. - Les journalistes ont une grande responsabilité dans cette confusion des genres. Où sont les « descentes » argumentées, comme l'on disait autrefois ? Que sont devenus les critiques ? Citez-moi un article qui dise que le dernier livre de Justine Lévy ou d'Anna Gavalda est nul ! Qui oserait écrire qu'un roman de Le Clézio ou de Kundera est faible ?
J.-M. R. - Exception faite du livre de Justine Lévy, Rien de grave, (Publié par Stock, NDLR) qui était à mon avis un bon roman - s'il était signé d'un auteur anglo-saxon, on le trouverait formidable - je suis d'accord sur le diagnostic : les critiques ne font plus leur travail, ils encensent trop vite ; du coup, on ne voit plus rien émerger, sauf quand apparaît un phénomène comme Houellebecq ou Jonathan Littell.
Richard Millet, l'an dernier, vous critiquiez la pléthore de mauvais romans de la rentrée littéraire. Plusieurs centaines de romans sont parus en janvier. Vous considerez que c'est excessif ?
R. M. - Ce que j'ai dénoncé, ce n'est pas le nombre de livres, mais l'absence de hiérarchie entre les livres. L'écrivain est celui qui a un monde, pas celui qui fait un « coup » pour avoir sa photo sur un livre. La fonction du roman n'est pas d'être un outil de promotion sociale. Toutefois, je concède que ce phénomène a toujours existé. Au XIXe siècle, on écrivait des vers, maintenant on signe un roman. Mais il ne faut pas se leurrer, en fin de compte les vrais écrivains se comptent sur les doigts d'une main.
J.-M. R. - Je préfère qu'il y ait à la rentrée 600 romans plutôt que 35. Cela dit, une réflexion sur la situation actuelle s'impose. Ainsi, il y a beaucoup trop d'éditeurs, trop de nouvelles maisons sans exigence. Éditeur est un métier à la mode ! Depuis le Goncourt miracle du kiosquier Jean Rouaud, des gens qui n'y connaissent rien publient des romans dans l'espoir de décrocher le gros lot. Et je ne parle pas du système des prix dans lequel les jurés priment ce que le public a déjà choisi...
R. M. - La littérature romanesque contemporaine est en état de crise, comme le fut peut-être la poésie au XVIIIe siècle. Je ne vois pas émerger actuellement d'oeuvre majeure. Mais trois grands romanciers par époque suffisent. Cela dit, ni Roberts ni moi ne publierions ce que nous publions si nous n'y croyions pas.
J.-M. R. - Chez Stock, nous éditons des jeunes gens, sans imaginer ce qu'ils deviendront. Est-ce que l'on pourra plus tard évoquer «l'oeuvre» d'un auteur, bien malin qui peut savoir. Parmi les grands, on cite toujours Modiano en exemple. Mais est-ce que ses romans vieilliront si bien que ça ?
Comment s'empêcher de comparer les écrivains actuels aux grands anciens ? Où sont passés les Aragon, les Montherlant, les Giono qui tenaient le haut du pavé, il y a un demi-siècle ? Y a-t-il déclin ?
R. M. - Dans son livre, Tzvetan Todorov dit que la littérature française est « solipsiste », nulle, désespérante. Ce sont des généralités : il ne cite aucun auteur dans le champ contemporain ! D'ailleurs, on se focalise trop sur la littérature française, comme si les choses allaient mieux ailleurs. On survalorise la littérature anglo-saxonne : qui sont leurs grands écrivains ? Qu'on nous les cite. Qui dira que Philip Roth écrit mal ? Il y a une norme internationale du roman dont le pilier est Umberto Eco : or Eco est un grand esprit, pas un grand romancier.
J.-M. R. - Je tiens Michel Houellebecq pour un écrivain important. L'oeuvre d'Annie Ernaux est celle à laquelle je suis le plus attaché. François Taillandier fait un travail considérable, mais aussi Agota Kristof ou Vassilis Alexakis.
R. M. - Il y a aussi Pascal Quignard, Pierre Bergougnioux, Pierre Michon, Régis Jauffret, Marie N'Diaye, d'autres...
J.-M. R. - Je suis optimiste pour le roman, mais pessimiste sur notre époque qui est antilittéraire. Le pire, ce sont les blogs : non seulement les gens ne lisent plus mais ils ne vivent plus. Interdisons les blogs !
R. M. - Nous vivons dans un monde où l'on n'enseigne plus la littérature et son histoire ; où les valeurs qui dominent sont marchandes, consuméristes, radicalement anticulturelles. Je sais ce dont je parle, j'ai moi même été enseignant. Savez-vous que dans les banlieues, le mot « intello » est devenu une insulte. La littérature est menacée par le divertissement, par la disparition de l'ennui. La littérature, au sens ambiteux du terme, intéresse trois mille personnes en France... D'une certaine manière, la solitude de l'artiste est un invariant ; il y a toujours eu quelque chose d'héroïque dans le fait de s'obstiner à écrire. Rappelons-nous la prédiction d'Henry James qui le premier affirmera que la massification de la culture signerait l'arrêt de mort du grand écrivain.
J.-M. R. - Je suis d'accord. Les « gros lecteurs », ceux qu'on qualifiait autrefois de boulimiques, sont en voie de disparition, surtout chez les moins de 40 ans. Pourtant je ne crois pas qu'il faille céder au « déprimisme ». Des livres existent.
09 février 2007
Interdisons les blogs!
Publié par GD à 17:19
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4 commentaires:
C'est là un débat intéressant, plein de clichés à la fois et en même temps plein de nuances.
Sur la tarte à la crème de l'époque antilittéraire, elle se résout d'elle-même par une conception quantitative : la littérature, et ses vrais lecteurs, cela ne concernerait que 3000 personnes, tout au plus. Etrange vision du public qui pourrait se réduire à une seule et unique personne et n'en formerait pas moins un public. Derrière, c'est le grand fantasme de la démocratie (conçue, cad réduite à la logique du plus grand nombre), et des rapports complexes entre art, littérature et démocratie, dont la citation de H. James n'est qu'un symptôme, et une réponse. Politique.
Sur le statut des "critiques" pris dans la perspective de l'exercice journalistique, il n'est évidemment pas dégagé de la critique comme activité (et non comme genre) qui en soi n'appartient ni aux journalistes ni aux universitaires. Même si la grande tentation chaque fois est aussi d'en fournir une définition sociologique : en partant du dualisme entre lecture savante / professionnelle et lecture d'amateur ou naïve. Ce qui est une position devant la "culture" confondue avec le processus d'acculturation.
"La littérature romanesque contemporaine est en état de crise, comme le fut peut-être la poésie au XVIIIe siècle. Je ne vois pas émerger actuellement d'oeuvre majeure. Mais trois grands romanciers par époque suffisent. Cela dit, ni Roberts ni moi ne publierions ce que nous publions si nous n'y croyions pas." Etrange analogie : pourquoi la poésie ? Toutes les époques n'ont pas toujours besoin des mêmes "genres". Cessons de pleurnicher. Si la situation, à part André Chénier au XVIIIe s. est minable côté poésie, elle est hyper inventive côté proses, sans compter ce phénomène bien particulier qui va s'inventer à la charnière du XVIIIe et XIXe s., mal dénommé sous l'espèce de "proses poétiques" : Rousseau, Senancour, Mme de Staël, Chateaubriand.
Avec cette loi et cette régularité (d'où sort-elle ?) de trois grands auteurs par époque ? Si les choses sont imprévisibles, dans le domaine de la création, comme il est dit justement ailleurs dans l'échange, alors toute statistique se révèle d'avance absurde.
Sur l'état de crise, et la réaction de Todorov (issue de quel ouvrage ? Quelqu'un saurait-il me dire ?), elle ressemble étrangement à l'évaluation tout aussi réactionnaire qu'en donne Marcel Gauchet dans "La Condition historique", sans donner lui non plus d'exemples, il va sans dire.
Qui oserait dire que P. Roth écrit mal ? Question du bien écrire / mal écrire ? Vieux fossile de la rhétorique du XVIIe et du bon goût. Là dessus, on peut s'étonner : deux siècles de mis en cause des canons et des critères classiques, et sur le "bien écrire", je renvoie au "mal dire" et à la "malfaçon" de Samuel Beckett. L'ignorance n'a pas de limites.
Mais oui, il est des écrivains qui pour avoir été inventifs dans telle ou telle oeuvre peuvent écrire en dessous d'eux-mêmes : Roth en est un excellent exemple, lisez "the dying animal", Le Clézio, je n'en parle même pas, l'abus des stéréotypes et des facilités syntaxiques au niveau de la phrase en est aussi un bel exemple.
Arnaud.
Arnaud, si tu lisais le blog de Polart au lieu d'accepter les injonctions parisiennes sans ciller, tu saurais de quel livre de Todorov, "tout le monde" parle en ce moment... même à Caen!
Oui, désolé, je ne suis pas l'actualité avec le même fulgurant empressement... Autant pour moi.A.
Proposition : Est-ce qu'un geste constructif, Serge, ne serait pas que tu en proposes de l'ouvrage de Todorov, "La littérature en péril", une discussion critique dans le cadre du site Polart, rubrique "Comptes rendus et notes de lecture" ? J'aimerais avoir ta position là-dessus. Cet ouvrage semble participer d'un effet d'époque, il en est un symptôme supplémentaire. Arnaud.
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