01 mai 2008

Gauchet se lâche : les "aristo" de 68

Une jolie pièce à joindre au chantier "Débat et Démocratie". Marcel Gauchet se révèle plus nu que le roi des réactionnaires dans son révisionnisme de mai 68. Quand le portrait du "libéral-libertaire" en "aristocrate de la démocratie" se prolonge significativement par une charge contre "notre fatal modèle étato-aristo-clérical", on voit bien le glissement du retournement. Voir le CR du Monde ci-dessous.

"Sous ses dehors prophétiques et altruistes, la "génération 68" aurait semé le doute et l'inertie. Elle aurait failli. Des héros, les baby-boomeurs ? Des imposteurs plutôt, dont la société française n'a pas fini de payer les inconséquences, soutient, dans le dernier numéro du Débat, le philosophe Marcel Gauchet.

Sa thèse, sévère mais argumentée, clôt une série d'articles moins significatifs, que cette revue, dont il dirige la rédaction, consacre à "Mai 1968, quarante ans après". Sous le titre "Bilan d'une génération", il dénonce avec véhémence les libéraux-libertaires auxquels cette génération s'identifie : "Le libéral-libertaire est un défenseur résolu de la souveraineté du peuple, mais un contempteur féroce du populisme ; il est l'avocat enflammé de tous les droits en souffrance, mais il n'a pas de mots assez méprisants pour fustiger les "beaufs". Bref, il est un aristocrate de la démocratie, comme seul ce pays pouvait en produire un."

Pour étayer ces accusations, Marcel Gauchet ajoute qu'à ses yeux la génération de 1968 n'a enfanté aucun intellectuel digne de ce nom, mais des "suppôts diversement talentueux et des suiveurs plus ou moins originaux" de Lacan, Derrida, Foucault et Bourdieu. Cette génération de "disciples", comme il l'appelle, a beau porter aux nues la "pensée critique" de ses maîtres, elle ne l'a pas régénérée. Incapable de la dépasser, elle en ânonne les préceptes, un point c'est tout.

Peu importe à ces "disciples" qu'une idée soit juste ou non, ironise Marcel Gauchet, pourvu qu'elle soit "dérangeante". Posture de justicier. Dogme de la dénonciation. Ces travers, à en croire Marcel Gauchet, ont fait beaucoup de dégâts, en particulier dans les médias où les héritiers plus ou moins directs de Mai 68 ont longtemps sévi. Ainsi à Libération, celui de Serge July, et au " Monde de Plenel et Colombani".

Comme c'était prévisible, "la ficelle a fini par se voir, écrit Marcel Gauchet en guise d'épitaphe, et le ton prédicant par se révéler insupportable". Il n'empêche que la "génération 68" a marqué pour le pire la société française. On lui doit, sous l'apparence de la modernité, la perpétuation de nos archaïsmes. Et la consolidation de "notre fatal modèle étato-aristo-clérical", qui fait de la France un pays "en état de sécession endémique vis-à-vis de tout ce qui prétend le diriger ou le représenter".

La responsabilité de cette génération est d'autant plus lourde, explique Marcel Gauchet, qu'à vouloir perpétuer son hégémonie, elle a empêché les générations suivantes d'être elles-mêmes. De s'émanciper. Une "indifférence à la transmission" tout aussi condamnable à ses yeux que la suffisance intellectuelle des baby-boomeurs.

Telle est la thèse développée, quarante ans après 1968, dans l'une des revues françaises les plus influentes. On peut y voir la preuve qu'une page se tourne - le temps de la "génération 68" serait révolu, elle n'en impose plus, l'heure de rendre des comptes a sonné... Ou se dire que Marcel Gauchet force le trait. Qu'il surestime le poids des soixante-huitards en les rendant responsables de tous les maux de la société française : les carences du système éducatif, l'inanité de la vie intellectuelle... Surestimer leur influence est au demeurant à double tranchant. C'est minimiser le rayonnement d'une revue comme Le Débat, où "l'esprit de 68" n'a jamais soufflé."

Le Débat. Mars-avril 2008, 192 p., 16,50 €
Bertrand Le Gendre
Article paru dans l'édition du 29.04.08

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