25 novembre 2007

La RLU ou la "quarantaine" du sens. Réflexions sur un micro-événement et son récit : la coordination nationale étudiante à Lille

LA « QUARANTAINE » DU SENS OU L'HISTOIRE EN COURS D'UNE CONTESTATION.


C’est un de ces récits courts comme il en fourmille en ce moment, un de ces fragments qui fabriquent l’opinion et le consensus. Je relis cette après-midi l’article du Monde du 24/11/07, que PMA nous a communiqué hier à propos de la coordination étudiante de Lille contre la RLU, dite Loi Pécresse. Je le cite en entier, on pourra le comparer avec la version disponible dans Libération. Avec la même source, le jeu des calques et des répétitions, les variantes témoins des sensibilités idéologiques. Les mêmes non dits et tâches aveugles devant l’événement :

L'Unef claque la porte de la coordination nationale étudiante contre la loi Pécresse
LEMONDE.FR avec AFP 24.11.07 20h38 • Mis à jour le 24.11.07 20h39
Les délégués de l'Unef ont quitté, samedi 24 novembre, la coordination nationale étudiante contre la loi sur l'autonomie des universités à Lille, en raison des tensions y régnant. Selon une porte-parole de l'Unef, une cinquantaine d'étudiants sur les 150 délégués présents ont refusé de siéger plus longtemps au sein de la coordination, qui doit se tenir jusqu'à dimanche, plusieurs militants de ce syndicat représentatif ayant été exclus d'entrée samedi de l'assemblée.
Les organisateurs reprochent notamment à l'Unef d'être dans une démarche de négociation avec le gouvernement. "Il y a un refus de l'organisation de la coordination à propos des négociations. C'est pour cela qu'ils refusent notamment des délégations du mouvement", a déclaré la porte-parole. "On appelle les AG à continuer à se mobiliser mais on considère que cette coordination n'est plus représentative du mouvement", a noté la représentante de l'Unef. D'après elle, "le point de clivage est sur la reconnaissance des syndicats étudiants représentatifs et sur le fait que ces syndicats vont négocier avec le gouvernement pour obtenir de meilleures conditions de vie étudiantes".
MÉFIANCE VIS-À-VIS DES MÉDIAS
La quatrième coordination nationale étudiante contre la loi sur l'autonomie des universités s'est ouverte samedi après-midi à l'université de Lille I (Sciences et technologies), en présence de quelque 300 délégués étudiants de toute la France. Les étudiants, venus de 67 universités et IUT, doivent débattre pendant deux jours pour définir leurs revendications. Mais cette quatrième édition s'ouvrait dans un contexte particulier. En effet, la coordination a toujours réclamé une abrogation de la loi Pécresse, en estimant cette demande "non négociable". Mais l'Unef, qui ne réclame pas le retrait du texte, avait jugé jeudi "un retour à la normale envisageable" dans les universités si le gouvernement ouvre des discussions et offre des "réponses satisfaisantes".
Comme lors des précédentes coordinations, la méfiance vis-à-vis des médias était très forte, des étudiants se montrant même parfois agressifs verbalement. Les journalistes étaient invités à rester dans une salle, rebaptisée par certains jeunes salle de "quarantaine". Après quatre heures d'attente sans pouvoir dialoguer avec des membres de la coordination, plusieurs médias ont décidé de ne pas la couvrir. "L'Unef refuse de cautionner cette ambiance très tendue et très violente à la fois vis-à-vis des délégations des étudiants et de la presse", a affirmé la porte-parole. Elle a précisé que les délégations jugées "litigieuses" ou "fausses" étaient rassemblées dans une salle où était inscrit sur le tableau noir "Bienvenue au goulag".
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L’événement n’est pas séparable de ses discours. Et une corrélation évidente s’établit entre la situation qui est faite aux médias, notamment la presse, et la parole qui vise à construire les faits.

La première caractéristique du récit est la dramatisation. Elle apparaît dans le titre « L’Unef claque la porte de la coordination nationale étudiante ». Elle insiste sur la fissure du front de la contestation contre la RLU, avec ce présupposé : l’Unef reste le syndicat qui jouit le plus d’une forte représentativité au sein de la base étudiante, problème relayé par le fait que l’Unef oppose cette même représentativité aux délégués présents dans cette coordination : « On considère que cette coordination n'est plus représentative du mouvement ». La scène des revendications a désormais cédé la place à la problématique du pouvoir : une division attendue et même espérée par le Ministère et le Président de la République qui refusent de revenir sur une loi adoptée, l’été dernier, devant la Représentation Nationale. La deuxième caractéristique est l’énonciation. Et le poids accrû du discours rapporté, qui ne s’explique pas seulement par l’usage des sources journalistiques et l’exclusion des médias au moment où se réunissait la dite coordination. Il n’est jamais question que de « porte-parole ». Récit désincarné et anonymé, qui met au jour le problème de la démocratie et du lien binaire, dualiste, entre représentants et représentés. Qui parle au nom de qui ? Mais cette question, essentielle dans l’expression syndicale, engage en vérité le statut du discours journalistique et son reportage des faits.

La troisième caractéristique est symbolique. En effet, ce récit est l’histoire d’une exclusion, de l’Unef mais aussi du monde journalistique. Parallèle appuyé. L’article ne se prive pas de rappeler le mot emblématique alors employé : « Les journalistes étaient invités à rester dans une salle, rebaptisée par certains jeunes salle de “quarantaine” ». Là encore, les auteurs du propos n’ont guère d’identités, ils sont différenciés au plan générationnel : « certaines jeunes ». Le terme quarantaine se charge, en l’occurrence, de toutes ses valeurs dans le domaine pathologique : entre protection et contagion. De fait, l’ostracisme des journalistes, perçu comme injuste et brutal, voire incompréhensible, redouble celui de l’Unef, les deux protagonistes “malheureux” s’inscrivant alors dans le même camp : « L’Unef refuse de cautionner cette ambiance très tendue et très violente à la fois vis-à-vis des délégations des étudiants et de la presse ». Ce qui a de lourdes conséquences sur la position implicitement adoptée par l’article devant les enjeux du mouvement. Et une traduction politique immédiate : « Bienvenue au goulag ». En résumé : le geste violent d’exclusion ne peut être le fait que d’une poignée de minoritaires radicaux, gauchistes partisans d’une terreur et d’une pratique totalitaire.

La quatrième caractéristique est l’inversion. De la « quarantaine » au « goulag », l’article ne cesse de suggérer qu’en excluant les délégués de la coordination s’excluent de même. De fait, ils sont immédiatement sanctionnés : « Après quatre heures d’attente sans pouvoir dialoguer avec des membres de la coordination, plusieurs médias ont décidé de ne pas la [la coordination] couvrir ». Mais lesquels ? Et à en croire le verbe utilisé, « dialogué », le lecteur est convaincu que ces médias étaient tous de bonne foi : sensibles à l’échange des informations, et disposés à rendre compte du débat et des enjeux du mouvement de contestation. À ceci près que la décision de ne pas « couvrir » l’événement pour certains d’entre eux a une autre portée : elle est là pour rappeler à la coordination dans son intolérance supposée ou avérée qu’en excluant elle se condamne à dépérir. À travers le récit postérieur aux faits, Le Monde et ses concurrents leur opposent implicitement le pouvoir de visibilité et d’audibilité qui est le propre de la machine journalistique aujourd’hui. Il n’est pas d’Événement ni d’Histoire qui ne supposent cette médiation nécessaire.

Un problème subsiste néanmoins, le fait que ces pratiques se sont déjà répétées « comme lors des précédentes coordinations ». Des journalistes s’en étaient déjà plaints à Rennes il y a quelques semaines. Derrière l’exclusion se joue pourtant autre chose, de bien plus fondamental. Je proposerai : une raréfaction du discours, qui alimente inversement le jeu des propos rapportés dans l’article. C’est-à-dire avant tout le refus de produire un sens consensuel. La « méfiance vis-à-vis des médias » va à l’encontre de leur pouvoir de dire l’événement. Mettre en quarantaine les discours officiels, légitimement soupçonnés pour la plupart, et Le Monde en tête, d’être largement complices de la politique gouvernementale, et d’être sans distance favorable au bonapartisme libéral, c’est aussi réaffirmer le besoin d’être les propriétaires du sens de l’événement que l’on est en train de produire et de vivre. Du moins de ne pas en être dépossédés. C’est réaffirmer qu’on est encore acteur du sens.

À ce titre, l’enjeu dépasse de loin les clivages idéologiques, l’anticapitalisme frontal et le gauchisme, spectres bien utiles qui ne sont certes pas étrangers à la réalité mais que les défenseurs de la LRU agitent sans cesse. L’enjeu porte sur la potentialité critique du mouvement, et ses virtualités conflictuelles vis-à-vis des forces qui contribuent au nom de la liberté, du dialogue, du respect, de la démocratie, à « un retour à la normale ». En toute hypothèse, et avec prudence, il me semble que c’est ce que rend lisible l’article en ses interstices et ses failles idéologiques, si je le prends comme archive du temps et parole sur l’actualité. Avec ce risque supplémentaire que cette proposition rapide d’analyse peut aussi contribuer à dérober ou à dissimuler le sens – pluriel – de l’événement et de l’action, en mettant fin quelque part à sa quarantaine comme je viens de le faire.

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