09 octobre 2007

Francophonie

Un article du Monde sur la francophonie



Compte rendu
Les lignes de la francophonie bougent et suscitent un débat
LE MONDE | 08.10.07 | 17h46 • Mis à jour le 08.10.07 | 17h46

e théâtre francophone est-il un ghetto ou un espace qui, grâce à ses systèmes d'aide, a permis à des artistes de développer leur travail dans des conditions avantageuses ? Alors que viennent de s'achever, dimanche 7 octobre, les 24es Francophonies en Limousin, la question, latente depuis plusieurs années, ressurgit : le festival est, depuis sa création, en 1984, le lieu de tous les débats.


Et ce débat-là, orageux mais resté plus ou moins confidentiel, a d'abord pris une visibilité médiatique quand, le 16 mars 2007, une quarantaine d'auteurs ont publié dans Le Monde, à l'initiative de Michel Le Bris, un manifeste intitulé "Pour une littérature-monde en français". Il n'a été signé que par deux dramaturges, Koffi Kwahulé et Wajdi Mouawad, mais les points de vue qui s'y expriment - sur la nécessité de reconnaître les "écrivains d'outre-France", au regard de leur talent, à égalité avec les auteurs français, sur l'apport de cette "littérature-monde" à une littérature française supposée sclérosée et nombriliste et sur la "fin de la francophonie" - traversent aussi les milieux du théâtre.

Prenons d'abord les deux signataires, le Québécois d'origine libanaise Wajdi Mouawad, 39 ans, dont les pièces sont maintenant jouées un peu partout (deux doivent être bientôt mises en scène, par Stanislas Nordey et par Dominique Pitoiset), et l'Ivoirien de Paris Koffi Kwahulé, 51 ans, auteur de Jazz, Big Shoot ou Cette vieille magie noire (prochainement montée à l'Atelier du Plateau, à Paris) et membre du comité d'auteurs de la Comédie-Française.

Aucun des deux n'est dupe sur les limites d'un tel manifeste. Ce qui a primé, pour eux, c'est la nécessité de changer le regard sournoisement dévalorisant porté sur leurs productions. "Etre enfermés dans le ghetto des auteurs francophones n'est plus supportable, affirment-ils. Pendant des années, quand on allait voir les directeurs de théâtre, ils nous renvoyaient au TILF (Théâtre international de langue française, devenu le Tarmac de La Villette) ou à Limoges... Il y avait les auteurs qui écrivaient en français, et ceux qui écrivaient en francophone, qui devaient rester dans leurs petites cases."

"Ces questions, pour moi, poursuit Wajdi Mouawad, renvoient quand même à une conception politique de la langue française : une vision de la "pureté" de cette langue issue du XVIIe siècle, quand le français a été nettoyé, épuré, pour devenir la langue de la Cour. La réflexion sur le "métissage" des langues avancée par le manifeste me paraît importante, même si elle n'est pas totalement nouvelle."

Koffi Kwahulé, lui, a aussi été sensible, dans le texte émanant de Le Bris et de son festival Etonnants voyageurs, à la prise de position sur la nécessaire réconciliation entre la littérature et "le monde, le sujet, le sens, l'histoire" : "Je pense d'ailleurs que les auteurs d'"outre-France" sont naturellement sur ce terrain : parce que nous sommes issus de sociétés où l'on n'a pas encore proclamé la fin de l'Histoire."

"COMPLEXE INVERSÉ"

Pour deux autres auteurs, au contraire, ce manifeste est inutile, quand il ne recouvre pas des arrière-pensées douteuses ou condamnables. L'Algérien Arezki Mellal, 58 ans, qui vit clandestinement dans son pays, où le contenu de son roman Maintenant ils peuvent venir (adapté au théâtre par le metteur en scène français Paul Desvaux et joué aux Francophonies de Limoges) et de ses pièces de théâtre en fait une cible pour les islamistes, fustige "ces auteurs de l'exil, qui vivent dans l'imposture : tout en profitant de l'étiquette "africains" ou "algériens" très à la mode en France, ils se sont totalement coupés de la réalité de leurs pays".

Le Français d'origine béninoise José Pliya, 41 ans, qui dirige la Scène nationale de la Guadeloupe et a signé plusieurs pièces régulièrement jouées, notamment au Vieux-Colombier, la deuxième salle de la Comédie-Française, parle, lui, de "coup médiatique" et voit dans ces revendications le syndrome d'un "complexe inversé", où le désir de reconnaissance reproduit les processus de légitimation dominants.

Un sentiment partagé par Marie-Agnès Sevestre, la directrice des Francophonies, qui trouve le concept de "littérature-monde" "opportuniste" et "un peu dépassé" par rapport à celui, "beaucoup plus fécond", de "tout-monde" développé par l'écrivain martiniquais Edouard Glissant. Elle est pourtant la première à reconnaître que les lignes de la francophonie ont bougé ces dernières années.

Et c'est bien le sujet sur lequel tous semblent d'accord, signataires comme non-signataires du manifeste : la francophonie, concept issue des périodes coloniale et postcoloniale, doit évoluer. Marie-Agnès Sevestre attire cependant l'attention sur la nécessité de faire les choses en douceur : ces "bantoustans culturels", comme les appelle Koffi Kwahulé, sont aussi ce qui a permis à beaucoup de ces auteurs de continuer à écrire.

Fabienne Darge
Article paru dans l'édition du 09.10.07

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