19 octobre 2007

Tourbillons de sable























Paris le 10 novembre 1947

Bien chers amis,

Souffrez que je réponde ensemble à ceux que mon amitié ne dissocie pas et qu'à S.H.C. de qui la jolie lettre m'a beaucoup touché, aussi bien qu'à H.C. messager d'importantes nouvelles, j'offre d'abord des excuses pour ce long retard. J'ai dû en rentrant partir pour quelques jours qui n'ont pas réussi à être du repos, et faire aussitôt face à tant et tant d'obligations (une semaine du matin au soir à un comité de l'UNESCO, six mois de correspondance en souffrance, et le BSL, et il y a beaucoup d'etc.), et il devait toujours se tenir cette réunion à la Direction culturelle... J'ai vainement cherché ces quelques heures qui fussent ce que tant d'heures étaient si facilement à Téhéran, silence, disponibilité allègre. Mais j'ai poursuivi les jours qui ont poursuivi les jours qui m'ont poursuivi.

Je vous l'ai dit, je comptais d'abord reprendre le chemin de l'Iran. Mais il faut savoir l'entreprise hasardeuse que représente cette traversée par les moyens locaux. Je n'avais plus aucune certitude d'arriver à une date donnée ; ce pouvait être encore un avion manqué et j'étais à bout de ressources. Quand j'ai reçu votre lettre et calculé les dates, j'ai vu de plus que nous n'airions pas pu nous rencontrer ; vous étiez sur la route de Mashad quand j'aurais suivi le trajet inverse. Comme je regrette néanmoins de n'avoir pas fait avec vous le pèlerinage de Mashad. Cette libation de l'âme, à l'aube, sur la tombe de Khayyam. Aviez-vous une jarre odorante, pour mêler le parfum à la prière ? Nous étions un peu sous la même inspiration, dans la sobria ebrietas de nos propos nocturnes à Téhéran, où, oui, nous avons parfois cru toucher à l'absolu.

De l'Afghanistan aussi j'ai gardé un grand souvenir, dans la mesure où j'ai pu momentanément faire taire celui de l'Iran. C'est surtout le souvenir de ces longues chevauchées le long de l'Oxus, dans ces gorges grandioses. J'ai rarement eu l'esprit aussi alerte que dans cette extrême fatigue physique, dans le bonheur de cette ascèse où concourraient un soleil de feu, la faim, les solitudes infinies, le sommeil à même le sol, et cette inextinguible curiosité de tout voir. C'était, je m'en suis rendu compte ensuite, une gageure que de tenter un pareil voyage avec aussi peu de ressources. Mais le résultat m'a amplement payé et une certaine imprévoyance ne déplaît pas au destin. [...]

(extrait d'une lettre adressée à Henry Corbin et à S. H. C (son épouse ?))
Sur la photographie, Emile Benveniste (dans l'arbre) est aux côtés d'Henry Corbin

Aucun commentaire: